Le 11 avril 1958, pour permettre une extension des facultés des lettres et des sciences et pour accueillir les sociétés savantes, le ministère de l’Éducation nationale acquiert deux immeubles situés aux 18 et 20 rue Chifflet : le premier, pour vingt millions de francs, des héritiers des familles Vyau de Lagarde et Dupont de Dinechin ; le second, pour quinze millions de francs, de l’Association pour le développement des institutions d’enseignement ménager.
En 1732, Claude Antoine Bocquet de Courbouzon (1682-1762), conseiller au parlement de Besançon, fait l’acquisition, dans un quartier neuf en plein essor, d’un terrain bordant la rue du Perron1, et appartenant au monastère des bénédictins de Saint-Vincent. Entre 1733 et 1735, il y construit un vaste hôtel particulier sur les plans d’un architecte parisien, mis en œuvre par l’architecte bisontin Jean Pierre Galezot (1686-1742).
Façade sur rue de l’hôtel de Courbouzon-Villefrancon, 18 rue Chifflet. Gérard Dhenin.
Le jardin, le parterre et la charmille, conçus par le maître jardinier Christophe, sont ornés de statues de « Vénus sortant du bain avec un petit Amour » et d’« Apollon Pythien »2, exécutées par l’un des membres de la famille de sculpteurs Devosge de Gray, selon des modèles du Recueil de figures de Versailles3. Cet hôtel particulier ostentatoire reflète la réussite sociale d’une famille et d’un homme devenu l’intermédiaire obligé entre le parlement comtois, la cour et le gouvernement.
Cour d’honneur et terrasse de l’hôtel de Courbouzon-Villefrancon, 18 rue Chifflet. Gérard Dhenin.
Dès 1741, Courbouzon partage l’immeuble entre ses deux fils à l’occasion du mariage du cadet, Claude François (1715-1755), président au parlement, qui reçoit le 18 rue du Perron, tandis que l’aîné, Marie François (1717-1796), abbé de Courbouzon, obtient le 20 rue du Perron. L’architecte Jean Charles Colombot (1719-1782) entreprend de vastes travaux d’aménagement dans la partie de l’immeuble donnée à l’abbé. Façade et intérieurs sont restructurés : porche, escalier, balcons, parquets, boiseries, sculptures, cheminées.
Détail du grand salon du 20 de la rue Chifflet, le salon Préclin. Ce salon, aux remarquables boiseries néoclassiques, est, depuis 1958, celui des soutenances de thèses. Il abrite également les séances de la société d’émulation du Doubs ainsi que celles de l’académie des sciences, belles-lettres et art de Besançon. Gérard Dhenin.
L’abbé conserve cet hôtel jusqu’à sa mort, en 1796. Dès lors, l’immeuble est acquis par des familles de l’aristocratie locale : Bouvier d’Éclangeot, Foillenot du Magny, Tinseau, Terrier de Santans s’y succèdent. En 1841, Gustave Bernigaud de Chardonnet (1803-1875), l’achète et entreprend des travaux importants, notamment dans l’actuel salon Préclin où se trouvent leurs armoiries. Il est le père d’Hilaire (1839-1924), inventeur de la soie artificielle et fondateur de l’usine des Prés-de-Vaux4. Héritières des Chardonnet, les familles Chargères et Castilla vendent l’immeuble, en 1943, à l’Association pour la protection de l’enseignement ménager dans le diocèse de Besançon.
Après la mort de Claude François, ruiné, l’hôtel du 18 de la rue du Perron est cédé, le 20 août 1756, au chevalier Jacques François Pourcheresse de Fraisans (1714-1768), fils de Jean Pourcheresse, richissime maître de forges comtois. En mai 1778, ses héritiers vendent ce bien à François Ignace Boudret, conseiller au parlement. Sous la direction de l’architecte Jean Charles Colombot (1719-1782), l’hôtel est restauré, notamment plusieurs cheminées, des miroirs, peintures, meubles. Les teintes pastel dominent alors dans la décoration.
Ancienne chambre néoclassique au rez-de-chaussée du 18 de la rue Chifflet. Gérard Dhenin.
Monique Frère de Villefrancon (1739-1811), nièce de F. I. Boudret, en hérite en 1791. Elle désigne comme héritier universel son frère, Paul Ambroise Frère de Villefrancon (1754-1828), qui devient archevêque de Besançon (1823-1828). L’hôtel passe ensuite à Xavier et son épouse Alphonsine Destut d’Assay5, puis à leur fille, Caroline Frère de Villefrancon (1814-1846). Celle-ci épouse, en 1832, Léonce, marquis Terrier de Santans (1809-1893). Le contrat de mariage a été signé dans la grande antichambre6 en présence des notables locaux, dont le cardinal de Rohan, archevêque de Besançon. Le couple, qui mène grand train, habite l’hôtel de la rue du Perron de décembre à avril7. illustration IV La chambre de Caroline, décorée en 1835-1836, conserve ses remarquables boiseries peintes par Charles Jourdeuil (1811-1868).
Détail des peintures de Charles Jourdeuil dans une chambre de l’étage, 18 rue Chifflet. Jean-Charles-Marie Jourdeuil (1811-1868) est un peintre très talentueux. Outre le décor de cette chambre, on lui doit également celui d’un superbe salon dans l’hôtel Grillet, rue Mégevand. Il a également été professeur d’ornementation à l’école Saint-Pierre, à Lyon, et directeur du musée de cette ville. De 1845 à 1855, il vit à Saint-Pétersbourg. Gérard Dhenin.
En 1842, des aménagements importants sont entrepris, notamment le grand escalier actuel, les fenêtres, les papiers peints, les marbres de cheminées. Caroline meurt des suites de couches, en avril 1846, laissant quatre filles. Marie (1846-1911), la dernière, hérite de l’hôtel. Elle épouse, en 1866, Ludovic Vyau de Lagarde (1836-1879). Le bâtiment reste indivis entre leurs héritiers, jusqu’à la vente de 1958 à l’État. Il devient partie intégrante de la faculté des lettres et sciences humaines qui complète ainsi son ensemble immobilier d’un patrimoine culturel et historique prestigieux.
René Tournier, plan des aménagements du premier étage des hôtels des 18 et 20 de la rue Chifflet pour les services de l’université, mai 1958. Archives départementales du Doubs, 120J57. L. Besançon.