« Ainsi tout concourt à faire de Besançon le siège d’une grande instruction, et nous pourrions réclamer et un lycée et la plûpart des écoles spéciales. S’il en est quelques-unes de ces dernières que le Gouvernement croye plus utile de placer ailleurs, nous espérons du moins qu’avec les différents cours qui auront lieu dans les lycées, il nous conservera les écoles de jurisprudence et de médecine qui ont toujours été enseignées avec distinction dans notre université, pour lesquelles les Franc-Comtois ont toujours eu un attrait et des dispositions particulières, et dont nous ne pourrions pas aller prendre des leçons ailleurs sans de grands frais qui seroient au-dessus de la fortune des habitans de notre Département et des Départements voisins. ». C’est en ces termes que se conclut le « Mémoire du Jury de l’École centrale du Département du Doubs, relatif à l’Instruction publique, adressé au Gouvernement français1 » en 1802, au moment où le régime impérial vient d’annoncer la création de dix écoles de droit en remplacement des écoles centrales qui assurent un enseignement de législation depuis leur création par le décret du 7 ventôse an II (23 février 1795).
Jean Baptiste Victor Proudhon (1758-1838), médaille de Jean Baptiste Maire (1787 – 1859), tirée de la galerie franc-comtoise, 1837. Bibliothèque municipale de Besançon.
Comment envisager que Besançon, où enseigne un professeur de tout premier ordre, Jean Baptiste Victor Proudhon, bonapartiste convaincu, ne soit pas retenue pour être le siège de cette nouvelle institution ? C’est d’ailleurs lui qui vient de rédiger le mémoire destiné à convaincre en haut lieu. Hélas, lorsque, enfin, s’ouvre l’École en 1806, c’est à Dijon, au détriment de Besançon, avec Jean-Baptiste-Victor investi à la première chaire de code civil et nommé doyen en 1808 ! Étonnantes tribulations que celles de ce juriste comtois, éminent commentateur du code civil et fondateur avec quelques autres de l’école de l’exégèse, qui fit la renommée de la faculté de droit bourguignonne.
Selon son autobiographie, rédigée en 1838 pour répondre à la demande du ministre de l’Instruction publique : « Proudhon (Jean-Baptiste-Victor) né à Chasnans, paroisse de Nods, canton de Vercel, arrondissement de Baume-les-Dames, département du Doubs, le 1er février 1758, laïque, veuf, ayant quatre enfants. Reçu bachelier ès-lettres à l’Université de Besançon le 16 juillet 1784, licencié en droit le 11 mars 1785 et docteur à la même Université le 7 août 17892. » Il bénéficie des enseignements des meilleurs maîtres, en particulier de Charles-Antoine Seguin (1708-1790), qui était si aimé par ses étudiants qu’ils l’accompagnaient chaque fois en cortège jusque chez lui et l’appelaient papa, et aussi de Jean-Baptiste Courvoisier (1745-1803), dont il forme le fils plus tard. Mais la Révolution lui ouvre les portes de la politique. Il est élu, en 1790, au conseil du département du Doubs en même temps que juge de paix à Pontarlier, puis à Nods, avant de présider, en l’an IV, la seconde section du tribunal unique du département du Doubs. C’est ce praticien que le jury d’Instruction publique choisit pour occuper la chaire de législation à l’école centrale par arrêté du 22 frimaire an V (12 décembre 1796).
Les écoles centrales – une par département3 – mettent ainsi un terme à l’agonie des anciennes facultés, en devant assurer l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur pour tous les garçons. Dans chacune des matières, il n’y a qu’un seul et unique professeur, y compris pour le droit. Mais aucun programme ni horaires ne sont imposés, les élèves ont toute liberté pour choisir les cours fréquentés. Proudhon donne six heures de cours par semaine, consacrées au seul droit des personnes, sans rien dire du droit naturel ni du droit politique, laissant ce soin à son collègue des belles-lettres Joseph Droz (1773-1850). Le droit, seulement le droit, voilà ce à quoi il s’attache, malgré les reproches du conseil de l’instruction publique l’accusant de ne pas épouser suffisamment l’esprit de la Révolution. N’importe, il réunit, en moyenne, une soixantaine d’étudiants enthousiastes et, à leur demande, publie son Cours de législation et jurisprudence françaises en l’an VII. Et ce n’est pas la suppression des écoles centrales le 22 ventôse an XII (13 mars 1804) qui arrête ce qui est pour lui un apostolat : jusqu’à sa nomination à Dijon en 1806, il enseigne gratuitement, résumant avec un trait d’esprit le calcul de sa rétribution : « Pose zéro et retiens tout » !
Si l’expérience des écoles centrales est globalement un échec, l’institution bisontine a permis le maintien d’un enseignement de niveau universitaire dans plusieurs matières et, assurément, en droit. La publication du code civil impose cependant la création d’écoles spécialisées. C’est à celle de Dijon que Proudhon va s’affirmer comme un juriste majeur, au cours d’une longue carrière d’enseignement4 et de publications5 de 1806 à 1838. À partir de la législation ancienne qu’il maîtrisait, sa force est d’avoir compris le droit nouveau et su l’exposer avec une grande clarté.
En cette période révolutionnaire troublée, la rectitude semble un trait de conduite propre aux professeurs de droit comtois.
En mars 1792, J. B. Proudhon prend la défense de deux prêtres accusés de faire obstacle à la Constitution civile du clergé en n’hésitant pas à faire l’apologie de la religion catholique et en affirmant que la société ne peut exiger que le respect de l’ordre public et non soumettre les consciences.
J. B. Courvoisier, révolté contre la violence révolutionnaire, défend courageusement plusieurs proscrits et meurt de langueur à 54 ans, le 8 décembre 1803, après avoir publié plusieurs ouvrages de droit public en faveur de la monarchie.