Faire son droit à Besançon : une si longue attente

Damienne Bonnamy

Le 6 octobre 1920 est fondée, à la faveur de la loi de 18751 sur la liberté de l’enseignement supérieur, la faculté libre de droit, par le dépôt des statuts d’une association selon la loi de 1901 en préfecture. Le nouveau maire de la ville, radical-socialiste élu en 1919, Charles Krug (1872-1947), est à l’origine de cette création. Alsacien, il a fait ses études de droit à Nancy, où il a soutenu une thèse sur « Féminisme et droit civil français » et s’est installé à Besançon comme notaire. Il est largement soutenu dans son initiative par les magistrats et les avocats, notamment par Georges Pernot (1879-1962), avocat à la Cour, de la droite catholique, conseiller municipal promis à une belle carrière politique, qui joue un rôle très actif. Ville administrative dont il faut aussi développer le commerce et l’industrie, Besançon a besoin de juristes bien formés et cette école municipale supplée l’absence d’une faculté publique puisque, depuis la fermeture de l’école centrale en 1804, le droit n’y est plus enseigné.

Octobre 1964, rentrée du Collège de droit : le bâtonnier Müller (ancien doyen de la Faculté libre puis enseignant au Collège de droit), le professeur Jean Gay, directeur du Collège et Maître Perrin, avoué. Bibliothèque municipale de Besançon, Ph22405. Bernard Faille.

La séance inaugurale a lieu le 8 novembre 1920 sous la présidence de Maurice Lambert2, avocat à la Cour, élu doyen à l’unanimité par le conseil d’administration de l’association. Les cours sont donnés dans des salles, spécialement affectées, de la faculté des lettres, et une bibliothèque, bien dotée, est ouverte. Si le budget de 150 000 francs, abondé par la ville à hauteur de 90 000 francs et par le département pour le reste, est modeste, il permet de préparer les 150 à 200 étudiants inscrits à la licence en droit, en quatre ans à l’époque, ou en capacité en droit.

En face, l’auditoire des étudiantes et étudiants.Bernard Faille. Bibliothèque municipale de Besançon, Ph22406. Bernard Faille.

Les professeurs sont des praticiens spécialisés de haut niveau, le plus souvent docteurs en droit, si bien que la formation est solide – d’autant qu’on dispense aux étudiants des cours d’art oratoire.

Cependant, avec l’expansion économique et démographique qui marque les années 1960, force est de constater que l’effort municipal ne suffit plus pour accueillir des étudiants de plus en plus nombreux. L’université doit prendre sa part : par une délibération du 17 mars 1964, le conseil de l’université décide la création d’un collège universitaire de droit et des sciences économiques, création approuvée par un décret du 6 juillet 19643, une convention avec la ville permettant de répartir la charge financière. En octobre, à l’ouverture, on compte 501 étudiants répartis entre les deux premières années de licence ou celles de capacité. Il y en aura 697 l’année suivante, puis 881 en 1966, et même 1 004 en 1967, dernière année avant la création d’une faculté de plein exercice par le décret du 24 octobre 1968.

Présentation du premier cours de droit commercial pour les étudiants de droit en octobre 1966, par Daniel Colard, chargé de cours de droit public qui est au côté de Robert Badinter à sa droite, amphithéâtre Donzelot. Bibliothèque municipale de Besançon, Ph28446. Bernard Faille.

Toutefois, le collège, tout comme la faculté libre auparavant, est administrativement rattaché à la faculté de droit de Dijon et, si les examens écrits d’admissibilité ont lieu à Besançon sous la surveillance d’un professeur dijonnais, les oraux d’admission se déroulent à Dijon4. C’est d’ailleurs à des professeurs de droit de Dijon qu’est confiée la direction du nouvel établissement. À Jean-Lucien Gay (1919-2017) d’abord, jusqu’à sa nomination comme recteur de l’académie de Besançon en juillet 19665, puis à Robert Badinter. Agrégé des facultés de droit, ce dernier, nommé en 1966 à Dijon professeur de droit privé et sciences criminelles, est immédiatement appelé par le recteur Gay pour lui succéder à la direction du collège6.

En face, l’auditoire des étudiantes et étudiants. Bibliothèque municipale de Besançon,Ph 28437. Bernard Faille.

Le rêve est devenu réalité : depuis 1920, on peut faire son droit à Besançon, à la faculté libre d’abord, au collège universitaire désormais7.


Notes :
1 – Loi relative à la liberté de l’enseignement supérieur (dite loi Laboulaye), 12 juillet 1875, Bulletin administratif de l’Instruction publique, t. 18, 364, 1875, p. 430. 2 – Rapport sur l’institution de la faculté libre de droit présenté par Maurice Lambert, doyen de cette faculté, à la séance d’inauguration du 8 novembre 1920, Besançon, 1921. Docteur en droit, M. Lambert (1851-1923), natif de Liesle (Doubs), a enseigné le droit romain jusqu’en 1927, tout en produisant de nombreuses notes de jurisprudence. Le site internet de sa commune d’origine lui consacre un beau portait sous l’onglet Célébrités. 3 – JORF, 11 juillet 1964, p. 6180. 4 – Étudiant à Besançon, on ne peut être diplômé de la faculté bisontine à cause du monopole de la collation des grades, particularité française éminemment politique et épineuse juridiquement qui, aujourd’hui encore, reste centrale dans le système français de l’enseignement supérieur. 5 – JORF, 5 juillet 1966, p. 5712. Le recteur Gay est tout particulièrement attentif à l’érection de la faculté de droit à la rentrée 1968. 6 – Tout en étant directeur, R. Badinter enseigne aussi à Besançon, où il est muté en 1968 avant de rejoindre la faculté d’Amiens à la rentrée 1969, jusqu’en 1974. Il poursuit ensuite sa carrière professorale à l’université de Paris-I (Panthéon-Sorbonne). 7 – Le collège est logé au 2, place Granvelle, bâtiment libéré par la faculté de pharmacie. La faculté de droit, créée en 1968, y est installée jusqu’en octobre 1969, date à laquelle elle quitte le centre-ville pour la Bouloie.
ARTICLES SIMILAIRES :
error: Contenu protégé.