La faculté des lettres par ses trois premiers docteurs

Pierre Verschueren

Le 14 août 1810, la faculté des lettres de Besançon est la première à décerner le doctorat ès lettres, nouveau grade, créé par le Premier Empire comme sommet de la hiérarchie des diplômes, qui doit organiser la nouvelle corporation enseignante. L’impétrant s’appelle Pierre Fontanier (1765-1844) (Figure 1) – rendu célèbre moins par son doctorat que par la réédition en 1977, par Gérard Genette, des manuels de rhétorique qu’il rédige dans les années 1820.

Figure 1 : Médaillon de Pierre Fontanier (1765-1844), miniature en médaillon sur ivoire de Pedemonte, 1811. Collection privée.

Fontanier soutient à cette occasion deux thèses, comme l’exige le statut sur les facultés des lettres et des sciences du 16 février 1810, « l’une sur la philosophie et l’autre sur la littérature ancienne et moderne », « la première [étant] écrite et soutenue en latin » : elles sont respectivement intitulées De animâ humana et La Comédie, son origine, sa nature, ses différentes espèces, son influence sur les mœurs1. De respectivement 7 et 12 pages, distribuées au jury le matin même de la soutenance, ces thèses sont de simples programmes permettant de suivre les débats de la soutenance. Le doctorat tel qu’il est alors recréé est une épreuve avant tout rhétorique, destinée non pas à montrer la capacité à produire des savoirs nouveaux, mais à démontrer des compétences oratoires de premier plan.

 En faisant soutenir de telles thèses à un professeur d’humanités au lycée de Besançon, entre l’inauguration et la première rentrée, la faculté a sans doute cherché à marquer son installation auprès du public bisontin, largement invité. Mais Fontanier est un clerc défroqué, époux d’une ex-nonne, et surtout ancien révolutionnaire montagnard. En 1814, dans un contexte où les tensions se multiplient entre le clergé comtois et l’enseignement public, des « âmes bien intentionnées »2 le signalent à l’attention du ministère. Il est suspendu avec traitement de non-activité et il n’enseignera plus jamais.

Les doctorats ès lettres sont rares au xixe siècle. On en compte 1034 en France entre 1810 et 1899, dont 272 avant 1850. L’immense majorité des soutenances (81 %) ont, en outre, lieu à Paris. La deuxième soutenance bisontine se déroule le 1er septembre 1829. Ce docteur est, lui aussi, connu, mais pour des raisons différentes. Il s’agit d’Amédée Thierry (1797-1873), frère cadet d’Augustin (1795-1856). Les exigences érudites se sont alors accrues. La thèse française, Ausone et de la littérature latine en Gaule au ive siècle, compte 27 pages. Mais les enjeux politiques restent déterminants. Thierry se fait remarquer, en 1828, par le premier tome de son Histoire des Gaulois, qui convainc le président du conseil Martignac, sur l’impulsion de Théodore Jouffroy (1796-1842), de lui confier la chaire d’histoire de Besançon, en suppléance de Labbey de Billy, décédé en 1825 – quitte à écarter le suppléant en titre, Jean Bourgon (1797-1841), normalien né à Pontarlier. Encore faut-il être docteur pour être titulaire.

Afin d’adoucir la part d’arbitraire de la nomination ministérielle, Thierry fait le choix de soutenir ses thèses devant ses futurs collègues. Mais il est d’ores et déjà jugé trop libéral. Lorsque la chaire d’histoire est officiellement déclarée vacante, au printemps 1830, la faculté ne le propose qu’en seconde ligne au choix du ministre, lui préférant Bourgon, entre-temps devenu docteur à Strasbourg. Quelques mois plus tard, éclate la révolution de 1830. Amédée Thierry devient préfet de la Haute-Saône, puis maître des requêtes au conseil d’État et, avec le Second Empire, sénateur.

Chaise de Jean-Baptiste François Pérennès (1811-1867), doyen de la faculté des lettres de 1837 à 1872. Cette chaise est toujours conservée dans le bureau du doyen de l’UFR SLHS, rue Mégevand. université de Franche-Comté, UFR SLHS. Gérard Dhenin.

Détail du nom du doyen Pérennès gravé sous l’une des traverses de la chaise. université de Franche-Comté, UFR SLHS. Gérard Dhenin.

On pourrait croire que nul n’est prophète là où il soutient sa thèse. Pourtant, le troisième docteur bisontin, le Breton Jean-Baptiste François Pérennès (1811-1867), suppléant depuis 1825 dans la chaire de littérature française, obtient cette chaire toute de suite après la soutenance, en 1830, de ses thèses De animae simplicitate et Du sublime et du beau. Il reste en poste jusqu’en 1872, occupant le décanat sans discontinuer pendant 35 ans, à partir de 1837. La longévité de Pérennès en fait une figure locale. Comptant « de très nombreux amis dans toutes les classes de la société »3, il est secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, belles-lettres et arts locale et conseiller municipal de 1830 à 1847. En ce sens, il est le symbole de la normalisation et de la neutralisation progressive des fonctions de l’institution, un temps arène de débats politiques, en particulier au moment des oppositions entre libéraux et ultraroyalistes, et désormais pleinement intégrée au paysage intellectuel bisontin.


Notes :
1 – Pierre Verschueren, « Prélude : à propos du premier docteur ès lettres (1810) », ès lettres, 2022, https://eslettres.hypotheses.org/318. 2 – Dominique Julia, L’École normale de l’an III, une institution révolutionnaire et ses élèves, Paris, Éditions rue d’Ulm, 2016, p. 507. 3 – AN, F17 21459/B, Notice de renseignements confidentiels, 1869, Dossier de carrière J.-B. Pérennès.
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