La création de l’Observatoire astronomique de Besançon

François Vernotte

Au cours du XIXe siècle, Besançon devient la capitale de l’horlogerie française. Elle doit cependant faire face à deux types de concurrence : celle de la Suisse, qui mise sur la qualité et la précision, et celle des États-Unis, qui privilégient la production industrialisée pour minimiser les coûts de fabrication. Les horlogers bisontins décident d’affronter directement la Suisse sur son créneau. Mais, très tôt, les Suisses ont compris la nécessité de contrôler la précision de leur production horlogère par la référence en vigueur à l’époque : le Temps Universel, délivré par les observatoires. En effet, les observatoires de Genève, puis de Neuchâtel, sont créés respectivement en 1772 et en 1858, avec la vocation explicite de soutenir l’horlogerie. En 1871, le conseil municipal de Besançon émet donc le vœu qu’un observatoire soit fondé pour venir en aide aux horlogers.

Vue d’ensemble des pavillons de l’Observatoire à la Bouloie, depuis la conciergerie, 1911. Observatoire de Besançon. Reproduction Région Bourgogne-Franche-Comté, Inventaire du patrimoine, 2004, 200425000122X. Yves Sancey.

Cependant, l’heure n’est pas à la “décentralisation” pour l’astronomie française. Urbain Le Verrier (1811-1877), le célèbre découvreur de Neptune, dirige à cette époque l’observatoire de Paris d’une main de fer. Fort de ses appuis politiques, il contrôle toute l’astronomie en France, limitée alors à l’observatoire de Paris et à ses “succursales” que sont les observatoires de Marseille, Toulouse et Alger. C’est seulement à la mort de Le Verrier, le 23 septembre 1877, que la création d’observatoires indépendants en province devient possible. Le 11 mars 1878, un décret présidentiel crée un observatoire astronomique, météorologique et chronométrique à Besançon (en même temps que ceux de Lyon et de Bordeaux). Un budget annuel est voté pour le traitement du personnel et l’entretien du matériel d’observation. De son côté, la ville de Besançon fait l’acquisition d’un terrain en octobre 1878. Quant au conseil général du Doubs, il vote en avril 1878 la création du service météorologique. Enfin, un premier directeur est nommé par arrêté ministériel en janvier 1879.

Pour autant, en raison d’un désaccord entre la ville et l’État, il faut attendre la fin de 1881, avec la démission du premier directeur et la nomination du premier directeur effectif, Louis-Jules Gruey (1837-1902), pour que la construction de l’observatoire de Besançon commence véritablement. Après une visite des observatoires européens les plus modernes, Gruey participe activement à l’élaboration du projet de l’architecte Saint-Ginest. L’établissement est inauguré en août 1884 (figure 1). Entre-temps, une chaire d’astronomie a été créée pour L. J. Gruey à la faculté des sciences de Besançon pour que l’observatoire puisse assumer pleinement son rôle astronomique, en plus de ses fonctions chronométrique et météorologique. L’observatoire est donc divisé en trois services pour répondre à ces trois missions et les huit scientifiques nommés s’y répartissent.

Dès l’origine, une des tâches importantes du service astronomique concerne l’observation du passage des étoiles au méridien grâce à la lunette « méridienne » (figure 2) pour en déduire l’écart entre le temps donné par l’horloge maîtresse de l’observatoire et la référence : le « Temps Universel » donné par la rotation de la Terre. D’autres tâches sont également effectuées dans ce service, comme l’observation des planètes et la découverte de comètes. Avec René Baillaud (1885-1977), troisième directeur, l’observatoire de Besançon participe également au projet international « carte du ciel » et s’équipe pour cela d’un astrographe. Ce dernier est toujours en fonction à l’observatoire pour les activités de diffusion de la culture scientifique. Aujourd’hui, la recherche astronomique concerne surtout l’étude de notre galaxie, la Voie lactée, ainsi que la planétologie.

Figure 2 : lunette méridienne de l’Observatoire de Besançon. BU Sciences Sport Claude Oytana, LB8527.

Jusqu’en 1945, le service météorologique est chargé d’adresser un bulletin quotidien à la presse locale, un bulletin de quinzaine au bureau d’hygiène de la ville de Besançon et un bulletin mensuel au bureau central de France. Enfin, il fournit aux architectes et aux entrepreneurs de travaux publics des renseignements sur le climat local. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce service sort de l’observatoire de Besançon pour intégrer un nouvel organisme : la Météorologie nationale.

Le service le plus emblématique de l’observatoire de Besançon est très certainement son service chronométrique, qui ne connaît pas d’équivalent dans les autres observatoires français. Dès le départ, il constitue un appui à l’horlogerie bisontine tout en assurant un rôle d’arbitre indépendant. Sa première mission consiste à réaliser une échelle de temps aussi proche que possible du Temps Universel1 et de le transmettre en temps quasi réel à la ville de Besançon par télégraphe. La seconde mission concerne la qualification de la production horlogère bisontine en mesurant la marche journalière de chacune des montres qui lui sont confiées. Depuis cette époque, l’observatoire de Besançon est le seul établissement français2 habilité à décerner le titre de « chronomètre » à une montre qui satisfait à un certain nombre de critères métrologiques drastiques.

C’est dans ce cadre que sont institués plusieurs reconnaissances permettant de distinguer les meilleurs chronomètres : tout d’abord, à partir de 1897, un poinçon représentant une tête de vipère est apposé sur tous les chronomètres ayant satisfait aux épreuves chronométrique ; puis, l’année suivante, un concours chronométrique est institué afin de récompenser les meilleurs chronomètres, leurs fabricants et leurs régleurs. Cependant, la seconde moitié du xxe siècle voit le service chronométrique de l’observatoire de Besançon s’éloigner de l’horlogerie bisontine. D’une part, l’utilisation d’horloges de référence qui ne sont plus mécaniques, comme les horloges à quartz, puis les horloges atomiques, induit une amélioration prodigieuse de la stabilité, créant un fossé entre l’horlogerie traditionnelle et la recherche dans le domaine du « temps-fréquence ». C’est dans ce contexte que la nouvelle définition de la seconde devient « atomique » en 1967, déconnectant du même coup la référence du temps de l’astronomie et des usagers non scientifiques. D’autre part, le déclin, puis la quasi-disparition de l’industrie horlogère bisontine dans les années 1970 achève de rompre le lien entre horlogerie traditionnelle et temps-fréquence. Ce domaine, héritier du passé horloger bisontin, reste un des fleurons de la recherche à l’université de Franche-Comté, qui s’incarne à l’observatoire de Besançon, mais aussi à l’institut FEMTO-ST, héritier du laboratoire de l’Horloge atomique, créé à Besançon en 1958.

Aujourd’hui, l’observatoire de Besançon, devenu l’Observatoire des sciences de l’univers terre-homme-environnement-temps-astronomie (OSU THETA) en 2010, s’est ouvert au sciences de l’environnement, en plus de l’astrophysique et du temps-fréquence, en devenant une fédération de recherche regroupant toutes les forces vives dans ces trois domaines en Bourgogne Franche-Comté (UTINAM, Chrono-Environnement, Département temps-fréquence de FEMTO-ST, Laboratoire temps-fréquence de Besançon, Biogéosciences à Dijon, équipe Mars de l’ICB à Dijon). Le but est, d’une part, de regrouper tous les laboratoires adossés à des activités de service (échelles de temps, astrométrie avec la sonde GAIA, surveillance sismologique, surveillance des tourbières, etc.) et, d’autre part, de créer des ponts entre sciences de la planète et astrophysique.


Notes :
1 – Le Temps Universel est le temps basé sur la rotation de la Terre sur elle-même. 2 – Trois établissements dans le monde ont cette accréditation. Les deux autres sont le Contrôle officiel suisse des chronomètres à Genève et l’observatoire de Glashütte en Allemagne.
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