Les collections du musée d’État du Tyrol conservent un journal autobiographique de voyage, rédigé par le Tyrolien Luc Geizkofler (1550-1620) à l’occasion des voyages d’études qu’il accomplit durant sa jeunesse1.
Page de titre des Mémoires de Luc Geizkofler. Cette page de titre est celle de la traduction en français, publiée en 1892 à Genève par Édouard Fick, docteur en droit et en philosophie, des Mémoires de Luc Geizkofler, Tyrolien (1550-1620). Médiathèque du Grand Dole, 19P761.
Ce texte, édité, traduit en français et publié à la fin du XIXe siècle2, rend compte de la vie d’un étudiant participant à la peregrinatio academica à travers l’Europe, à un moment où cette pratique commence à décliner en raison de la fragmentation confessionnelle du continent. Après un séjour à l’université de Strasbourg, Luc se rend à Paris. Il s’y trouve, à l’été 1572, lors du mariage entre Henri, roi de Navarre (1551-1589), et Marguerite de Valois (1553-1615), sœur de Charles IX (1550-1574). Allemand et protestant, Geizkofler ne doit son salut, lors du massacre de la Saint-Barthélemy, qu’à sa bourse bien garnie. Hébergé chez un prêtre catholique qui loue des chambres, il règle trois mois de pension d’avance, pourvu que celui-ci accepte de dire aux tueurs qui lui demandaient « s’il y avoit dans la maison des oiseaux huguenots à dénicher » qu’aucun ne se trouvait là.
Ayant réussi à quitter Paris dans ces terribles circonstances, Geizkofler se rend ensuite en Franche-Comté, d’abord à Besançon, puis à Dole, où il s’inscrit à l’université. Son récit offre quelques éclairages sur la vie des étudiants du studium comtois. Il y développe en effet le thème de quelques-uns des cours qui se donnent alors à l’université, mais ce sont surtout les coutumes étudiantes locales qui retiennent son attention. Il évoque tout d’abord les Valentiniana : « les étudians avoient, en effet, l’habitude de passer une heure ou deux chaque jour auprès des filles d’habitans, sous prétexte d’apprendre le françois ; de nombreux exemples avoient dévoilé les scandaleux inconvéniens de cette coutume », pratique qui fut d’ailleurs interdite pendant son séjour dolois, sur ordonnance du duc d’Albe.
Les rituels universitaires apparaissent également dans son manuscrit. Tout examen de doctorat doit faire l’objet d’une annonce publique. Geizkofler se charge d’« aller inviter », en langue latine, « ad actum doctoratus, les comtes & barons qui séjournoient à Dole » ainsi que les autres écoliers, à commencer par les Allemands. « Les étudians de marque faisoient cortège en rue à l’invitator ad doctoratum, ils l’assistoient en signe d’honneur ; aussi l’usage voulait-il que l’invitator rendît la politesse en leur offrant, aux plus notables tout au moins, une collation, soit merenda, composée de mêts chauds, de pâtisseries & de bon vin de Bourgogne ». La mention des « Allemands », très fréquente dans son récit, rappelle le caractère cosmopolite qu’offre à la ville la présence de la petite université. Une nation allemande y existe et Geizkofler en fait partie.
Revenu à Dole en 1577, le mémorialiste y passe les examens requis pour l’obtention du doctorat utriusque juris : dans les deux droits (civil et canon). À trois reprises, dans cette épreuve, il doit expliquer des textes préparés à l’avance, puis répondre aux questions qui lui sont adressées. Il lui faut également défendre une série de thèses qu’il expose contre des contradicteurs, ces derniers s’efforçant de le mettre en difficulté selon l’usage du temps. Ces examens, ouverts au public, durent de deux à trois heures. À l’issue de chacun d’eux, il offre, selon la coutume imposée, un banquet à ses professeurs et à ses amis qui « se montrèrent fort gais & grands amateurs du vin de Bourgogne ». Le Tyrolien confie pourtant à son journal s’y livrer « assez à contre-cœur vu la détresse de sa bourse », puis conclut ce chapitre de son existence en notant laconiquement qu’il « étoit donc resté douze jours à Dole, aux fins d’y prendre le bonnet de docteur » et qu’« en frais & cadeaux il dépensa quatre-vingt-seize florins vingt-sept kreutze