Les femmes à la conquête de l’université (1870-1940) sous la Troisième République

Amélie Puche

Aujourd’hui, la répartition des étudiantes et des étudiants dans les différentes filières universitaires en France est inégale en fonction du genre. Ces inégalités apparaissent d’emblée dès la fin du XIXe siècle, moment où les femmes investissent un milieu universitaire jusqu’ici exclusivement masculin. La thèse de doctorat en histoire contemporaine d’Amélie Puche1, soutenue en 2020 et aujourd’hui publiée2, offre une étude des origines et du quotidien de l’étudiante, ce nouveau personnage des amphithéâtres. Bien que réalisée à partir des sources3 d’institutions universitaires spécifiques4, elle permet d’apporter une vision globale des femmes à l’université sous la Troisième République et d’appréhender les controverses et les stéréotypes liés aux étudiantes.

La Sorbonne. Cours de M. le professeur Legouis, PAD. Bibliothèque Numérique de la Sorbonne. https://nubis.univ-paris1.fr/ark:/15733/r9t

Dès l’entrée des femmes dans les facultés, les effectifs féminins sont en constante progression, notamment en lettres et en droit. En France, les étudiantes représentent 3 % des effectifs universitaires en 1900, 10 % à la veille de la Première Guerre mondiale, 20 % en 1925 et 30 % à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Pour comprendre les réactions liées à l’arrivée des femmes dans les amphithéâtres, il est nécessaire de resituer les obstacles et les encouragements liés à leur nouveau statut. De nombreux discours contradictoires sont produits sur les étudiantes, par des scientifiques, des journalistes ou des romanciers, qui les présentent tantôt comme des perturbatrices, tantôt comme des pacificatrices des quartiers latins. Un argument considéré comme implacable veut que les filles ne soient pas faites pour étudier à cause de nombreuses faiblesses physiques, psychiques et intellectuelles. Une des polémiques les plus importantes est peut-être celle qui dénonce un risque de perte de féminité : une des grandes peurs exprimée par leurs contemporains reste celle de l’inversion des rôles. En acquérant un savoir jusqu’ici réservé aux hommes, les étudiantes pourraient se masculiniser et former un « Troisième sexe ». Mais tous ces arguments sont mis à mal par l’exemple de nombreuses étudiantes qui réussissent tout en plaisant à leurs camarades, comme l’illustrent un certain nombre de mariages.

Enfin, la vie quotidienne des étudiantes est tributaire de l’argent dont elles disposent, recouvrant les budgets nécessaires à la poursuite des études, à leur logement ou à la restauration, avec différents modes de financement. Les étudiantes bénéficient d’une liberté rare pour l’époque. Elles vivent généralement hors du foyer familial, consacrent une grande partie de leur temps à l’étude, se lient d’amitié avec de nouvelles personnes – notamment des étudiants – et pratiquent un certain nombre de loisirs en commun avec eux. Elles peuvent alors remettre en cause leurs croyances religieuses et leurs opinions sociales et politiques, source de relations difficiles avec leur famille. Ces amitiés sont également l’occasion de rencontrer d’autres étudiants et de fonder un foyer. Le mariage et la maternité restent la norme et beaucoup abandonnent ensuite toute ambition professionnelle. Pour celles qui réussissent à concilier vie de famille et emploi salarié, les débouchés professionnels qui s’offrent à elles sont de plus en plus nombreux, entraînant parfois une recomposition de la “nature” des fonctions. Les femmes ayant terminé leur cursus universitaire peuvent investir des postes prestigieux jusqu’ici réservés aux hommes, notamment parmi les professions libérales médicales ou juridiques. Dans le monde universitaire lui-même, elles réussissent à obtenir quelques chaires, malgré de fortes résistances

Notes :
1 – Amélie Puche, Les femmes à la conquête de l’université (1870-1940) : les implications sociales et universitaires de la poursuite du cursus scolaire dans l’enseignement supérieur par les femmes sous la Troisième République, thèse d’histoire (Jean-François Condette dir.), Université d’Artois (Centre de recherche et d’études histoire et sociétés), 2020. 2 – Lauréate du prix scientifique de L’Harmattan, Les femmes à la conquête de l’université (1870-1940), Paris, L’Harmattan, 2022. 3 – Sources : Archives nationales et départementales, Registres des conseils de faculté, (inscriptions, diplômes, dossiers étudiants), presse, revues universitaires et publications scientifiques. 4 – Grenoble, Lille, Lyon, Montpellier et Paris. Bibliographie
  • Amélie Puche, Les femmes à la conquête de l’université (1870-1940), Paris, L’Harmattan, 2022.
ARTICLES SIMILAIRES :
error: Contenu protégé.