Introduction générale partie I (1422-1793)

Marie Barral-Baron

La naissance de l’université de Dole 

L’idée de créer une université en Comté est ancienne, puisqu’elle est envisagée dès le mois d’août 1287 par le comte Othon IV de Bourgogne (1240-1303). La petite ville de Gray semble avoir alors toutes les faveurs pour fonder ce type d’établissement, car elle apparaît comme une cité à la population dense et paisible, propice à l’installation d’un studium generale. Toutefois, la volonté du prince n’est pas suffisante et il est nécessaire d’obtenir l’assentiment de la papauté pour donner corps à ce dessein. L’autorisation pontificale parvient cependant très tardivement, en 1291, à un moment où Othon IV n’est plus en mesure de financer son souhait : aucune université n’est finalement construite à Gray.

C’est le duc de Bourgogne Philippe le Bon (1396-1467), fils de Jean sans Peur, qui redonne vigueur à ce projet. Le prince bourguignon souhaite en effet disposer d’experts juridiques aptes à le conseiller et à se mettre au service de l’État princier en construction. Mais la fondation de cette université répond surtout à la volonté du prince de renforcer son prestige et son autorité, d’affirmer sa souveraineté et son indépendance, notamment vis-vis des universités françaises, comme le montrent la dimension fortement politique du projet et l’effort financier exceptionnel promis (sinon réalisé) ; il n’en est guère d’autres exemples, en tout cas au nord des Alpes. Pour y parvenir, le duc-comte de Bourgogne défend, avec ses conseillers, la création d’une université complète à Dole, c’est-à-dire dotée de cinq facultés consacrées aux disciplines qui dominent la culture savante au Moyen Âge : arts, médecine, droit civil, droit canonique et théologie. À l’intérieur de l’université, la faculté des arts est comme un vestibule commun qui donne accès aux autres facultés. C’est une sorte d’école préparatoire où l’étudiant doit achever de se former de manière générale avant de se consacrer à des études plus spécifiques. L’enseignement donné a donc un caractère propédeutique. Au sein de ces facultés, le système des grades de l’enseignement universitaire a pour but de sanctionner les compétences acquises. Toute la vie de l’étudiant au Moyen Âge est dominée par le système des grades qui s’obtiennent toujours dans le même ordre : le baccalauréat, la licence et, enfin, le grade par excellence, celui qui est le dernier but de l’étudiant, la maîtrise (ou doctorat). L’insigne de ce grade est le bonnet de docteur. Dans les lettres patentes qu’il adresse au pape Martin V en 1421, le prince bourguignon expose précisément la nature de la création universitaire envisagée, affirmant ainsi son souhait de bâtir une université au service du prince et de son prestige.

Le 15 octobre 1422, Martin V délivre son autorisation et permet ainsi la fondation d’une université en Comté pour favoriser, selon ses mots, la découverte « des trésors de la connaissance ». Néanmoins, très prudent, le pape refuse d’accorder à cette nouvelle université une faculté de théologie : l’université de Dole est ainsi amputée, dès sa naissance, d’une part fondamentale des enseignements dispensés, comme l’est également l’université de Louvain à la même époque (1425). Par ailleurs, la bulle n’est promulguée que le 7 mars 1423, après qu’une enquête, exigée par Rome, a statué sur la ville retenue pour l’édification de l’université. Si Besançon, alors ville d’Empire, est immédiatement disqualifiée, l’enquête doit trancher entre Gray et Dole, Philippe le Bon souhaitant implanter son université en une cité dégagée de toute tutelle. Bien placée sur le plan géographique, la cité doloise finit par s’imposer tant elle incarne en ce temps le cœur de la puissance politique du prince. Dole s’est en effet vue attribuer, à la fin du XIVe siècle, le siège du parlement et le centre de la trésorerie. En obtenant la fondation de l’université à Dole, le pouvoir bourguignon parachève cette centralisation et fait de cette ville le centre d’une nouvelle circonscription (bailliage). La fondation doloise s’inscrit ainsi pleinement dans le mouvement européen des universités princières au XVe siècle.

La figure de Philippe le Bon hante le souvenir de la fondation de l’université de Dole, tant ce prince est soucieux que ses étudiants puissent bénéficier de l’enseignement des meilleurs maîtres du temps. Pour y parvenir, il s’emploie à lever des fonds et assigne à son université des revenus prélevés sur les salines du Comté. Les états de la province réunis à Salins, la ville de l’or blanc, décident en effet qu’un subside de 9 693 livres sera prélevé pour soutenir le fonctionnement de la nouvelle institution. Mais cela ne suffit pas. Les habitants de Dole s’engagent à leur tour à verser une somme égale pour permettre à l’université d’ouvrir ses portes. La cité elle-même frappe bientôt, au profit de la faculté, du droit de rouage les charrois étrangers à leur entrée dans ses murs. À l’ouverture des facultés, des libéralités privées s’ajoutent enfin et permettent d’offrir des gages élevés aux premiers professeurs. Toutefois, ce bel élan de générosité ne dure pas, les dons s’étiolent rapidement et il faut des procès pour obtenir ce qui a été voté.

Grandeurs et vicissitudes de l’université de Dole 

Ces difficultés financières expliquent sans doute l’exiguïté et l’inconfort des locaux de la nouvelle université, puisque cette dernière possède des espaces qui semblent bien modestes au cours des XVe et XVIe siècles, et c’est encore le cas au XVIIe siècle. Alors que les lettres patentes du prince de Bourgogne prévoient de construire des locaux alloués uniquement à l’université, il n’en est en réalité jamais vraiment question. Si, dès 1498, des bibliothécaires sont recrutés, aucun local n’est pour autant attribué à une bibliothèque universitaire. Les enseignements sont le plus souvent hébergés dans des locaux de fortune, comme la grande salle des malades de l’hôpital. Cette étroitesse des salles d’enseignement s’explique aussi par celle des effectifs : Dole accueille rarement plus d’une centaine d’étudiants en ses murs jusque vers 1530 et guère plus au-delà, sauf en 1556 et 1561, lorsque des professeurs d’envergure exceptionnelle enseignent à Dole et attirent des contingents importants d’étudiants.

Le studium dolois est relativement peu fréquenté à ses débuts et il n’est pas possible, par exemple, de comparer le nombre d’étudiants inscrits à Dole avec les chiffres bien plus importants qu’affichent, à la même époque, les universités allemandes et italiennes. Dole constitue une petite université, même si elle est particulièrement bien insérée dans les réseaux d’échanges universitaires du temps et reçoit une proportion tout à fait significative d’étudiants étrangers. Les efforts déployés très tôt par Philippe le Bon pour faire connaître son université ont été particulièrement efficaces. Dès 1424, les premiers étudiants venus de Flandre, mais aussi du pays de Vaud et de Bourgogne, apparaissent en effet dans les rues de Dole. Ces étudiants de « par deçà » ont été informés de la création de cette nouvelle université par des sergents, dépêchés par Philippe le Bon en 1423, qui ont annoncé la nouvelle dans les villes de Fribourg, Berne, Lausanne, mais aussi Beaune et d’Arbaumont, Constance et Heidelberg, Cologne, Bâle, Utrecht, Worms, Trèves, Strasbourg, Metz, Nancy ou encore Toul. Ainsi, entre 1424 et 1497, on ne retrouve qu’une trentaine d’étudiants issus des principautés de Comté et de Bourgogne. Mieux même, pour les années 1540-1660, les registres matricules établissent que, parmi les 1 795 étudiants inscrits pendant cette période, 1 107 ne sont pas originaires du comté de Bourgogne. Cette forte proportion d’étudiants étrangers tient en grande partie à l’emplacement de l’université doloise, mais aussi à sa bonne réputation et à son image de « ville joyeuse » très agréable à vivre. Tenu informé de l’attractivité de l’université doloise, l’empereur Charles Quint témoigne, dans ses lettres patentes publiées à Gand le 8 mai 1531, de sa préoccupation constante d’améliorer la fréquentation de cette dernière et d’y faire venir et maintenir des étudiants issus des contrées locales et pas seulement étrangères. L’empereur y invite l’université à être attentive au montant des coûts (fraiz) des études afin qu’aucun étudiant ne quitte Dole pour rejoindre d’autres établissements moins onéreux de France et d’outremonts. Il invite également à donner la primauté aux étudiants gradués à Dole pour l’accès aux honneurs, en privilégiant par exemple un docteur en théologie dolois pour l’obtention d’une prébende.

Cependant, si on parvient à cerner le nombre d’étudiants, notamment étrangers, qui fréquentent les bancs de l’université, il n’est pas évident en revanche de dessiner le portrait de ces jeunes gens tant les sources sont souvent lacunaires. On peut citer de nombreux noms, retracer quelques portions de vie, telles celles du comte Eberhard de Hesse (1511-1564) qui est à Dole en 1528 pour apprendre le français ; ou celles du célèbre juriste et diplomate au service des Habsbourg, Viglius d’Aytta (1507-1577). Venu de Frise, il s’inscrit tout d’abord au collège des Trois Langues de Louvain avant de gagner Dole, où il séjourne de 1526 à 1529 pour étudier le droit. En cette université, il se fait remarquer pour ses qualités pédagogiques et est choisi comme répétiteur pour les matières juridiques. On peut encore citer Luc Geizkofler (1550-1620), étudiant tyrolien et protestant qui raconte dans son journal autobiographique des bribes de sa vie quotidienne à la faculté de Dole, après avoir réussi à fuir Paris et le massacre de la saint Barthélémy en 1572. Des étudiants comtois ont laissé également quelques témoignages de leur fréquentation du studium dolois, par exemple Olivier de la Marche, né en Comté, qui a appris à écrire et à lire à l’école de Pontarlier, avant d’être immatriculé boursier à Dole en 1425. La plupart de ces étudiants ne fréquentent l’université de Dole que jusqu’à la maîtrise ès arts, voire le baccalauréat, et exercent ensuite un emploi de maître d’école (ainsi à Yverdon ou à Moudon). Seuls les plus aisés peuvent se permettre de poursuivre leur cursus dans des universités étrangères, se lançant ainsi dans le fameux voyage d’étude (peregrinatio academica) qui implique la fréquentation successive de deux, trois ou même quatre universités. On peut citer par exemple l’étudiant Jean Jouffroy, fils d’un riche marchand luxovien qui, après des études au monastère bénédictin de Luxeuil, rejoint l’université de Dole. Il gagne ensuite la faculté de Cologne, puis celle de Paris et enfin celle de Pavie. De la même manière, le célèbre Antoine Perrenot de Granvelle fréquente tout d’abord l’université de Dole, puis s’inscrit à Louvain, Bologne et enfin à Padoue.

Lors de la fondation de l’université à Dole, la principale difficulté est, outre la question financière, celle du recrutement des professeurs, car la qualité du vivier des enseignants conditionne la venue des étudiants. Très conscient de l’enjeu, Philippe le Bon demande à ses officiers de rechercher des maîtres de forte notoriété pour attirer les étudiants. Dans la faculté de droit civil, qui est, sans conteste, la faculté la plus développée et la plus prestigieuse de l’université de Dole, une chaire extraordinaire de droit civil, réservée à des professeurs étrangers ou formés à l’étranger, est ainsi créée. À grand frais, un professeur choisi parmi les jurisconsultes les plus distingués d’Europe est invité à séjourner à Dole. Ainsi, les célèbres Raimondo de Marliano, Anselme de Marenches, Mercurino Gattinara, et plus tard, Charles Du Moulin, Étienne van der Straten ou Claude Chifflet, enseignent dans la faculté doloise. Ces maîtres bénéficient d’un contrat de deux ou trois années, renouvelable. Les « distributeurs », chargés du recrutement et du renouvellement des enseignants, statuent régulièrement sur la pertinence des enseignements dispensés. Définitivement, l’enseignement du droit prévaut, bien plus que la médecine et la théologie qui n’apparaissent qu’à partir de 1437 sous Eugène IV, à la grande satisfaction des Dolois. Disposer d’une faculté de théologie représente en effet un enjeu majeur pour attirer des étudiants en plus grand nombre et pour asseoir l’université de Dole dans le paysage académique européen, marqué alors par une forte concurrence. La jeune communauté universitaire doloise ne cesse de supplier le souverain pontife de bien vouloir l’en doter, ce qui est concédé par ce dernier le 29 septembre 1437. Si le pape a longtemps hésité à répondre favorablement à cette demande, c’est parce que l’autorité pontificale est soucieuse de limiter le nombre de facultés de théologie afin de pouvoir mieux contrôler les enseignements et les savoirs qui s’y diffusent. Toutefois, en 1437, la configuration politique de l’Église latine est bouleversée et fragilisée par les multiples rebondissements de la crise conciliaire et il devient plus intéressant pour Rome de disposer d’une faculté de théologie à Dole afin de conserver l’obéissance de l’université bourguignonne et le soutien de son prince. Dès lors, l’université de Dole est dotée de la plus prestigieuse des facultés et devient un studium generale complet. Le vœu de Philippe le Bon est enfin accompli. Toutefois, cet enseignement de théologie reste longtemps assez nébuleux et ne connaît un réel essor qu’avec la création du collège Saint-Jérôme à la fin des années 1490. C’est Antoine de Roche, bénédictin originaire de Poligny, ancien étudiant dolois et grand prieur de Cluny, qui se charge alors d’acheter un terrain pour construire ce collège. Acquis en 1492, ce dernier autorise la construction des bâtiments qu’Antoine de Roche dirige par la suite avec rigueur et enthousiasme pendant près de trente années consécutives.

Afin de pouvoir s’inscrire dans la durée et de bénéficier d’une réputation qui traverse les frontières, l’université de Dole se dote, dès sa fondation, de statuts, qui sont d’une importance vitale pour son fonctionnement. Ils structurent et organisent cette nouvelle institution. Lus par le recteur deux fois par an publiquement et solennellement, les lendemains de la saint Georges et de la saint Luc, afin que personne ne puisse prétendre les ignorer, ces statuts ont sans doute été rédigés par les professeurs de l’université, avec peut-être l’intervention des représentants de Philippe le Bon. Ces statuts généraux sont ceux auxquels maîtres et élèves prêtent librement serment de fidélité et d’obéissance en pénétrant dans l’université et, pour les étudiants, en s’y immatriculant. Si on ignore la date exacte de leur rédaction, située sans doute entre 1424 et 1474, ces textes, composés de 65 articles et rédigés en latin, donnent une image assez précise de l’organisation adoptée dès les premières années de l’existence de l’université. Trois préoccupations majeures se détachent au fil des lignes : la première est de circonscrire très précisément les membres de la communauté universitaire : avec application, les statuts délimitent ceux qui peuvent bénéficier des privilèges octroyés par l’université de Dole et de sa protection, en échange d’avoir prêté serment d’obéissance à ces statuts et acquitté les droits requis. La deuxième préoccupation des rédacteurs est d’assurer le bon exercice du pouvoir et de l’autorité au sein de la communauté universitaire. La place du recteur, figure la plus prestigieuse de la faculté, est longuement présentée. Ses pouvoirs sont détaillés ainsi que les autorités avec lesquelles le recteur peut être conduit à composer, autorités essentiellement extérieures à l’université – l’archevêque de Besançon fait alors office de chancelier. Il apparaît que la principale limite à l’autonomie universitaire ne peut finalement venir que des représentants du prince. Chaque parti a donc intérêt à bien s’entendre et à collaborer avec intelligence : il en va de la bonne intégration de l’université à l’ordre politique de la principauté bourguignonne et de la loyauté de ses membres à l’endroit du prince. La troisième préoccupation des statuts s’attache à des aspects plus pratiques des études, envisageant par exemple la durée obligatoire du cursus universitaire et le calendrier des cours, l’organisation des examens et le contenu des enseignements. Sur ce dernier point, les informations sont inégales en fonction des facultés : le programme de la faculté des arts est ainsi le seul à être vraiment détaillé et fait apparaître, sans surprise, la place centrale de l’étude du corpus aristotélicien. Ces statuts rejoignent un autre document très précieux, conservé également dans le « trésor » de l’université de Dole, à savoir les registres matricules. Rédigés en latin, ils couvrent 340 folios pour la période 1498-1526 et sont parfois lacunaires pour les années 1540 à 1601. Particulièrement riches en détails sur la vie universitaire à Dole, ils permettent de suivre l’élection annuelle de chaque recteur, celle des membres du collège qui l’assiste, mais ils autorisent aussi et surtout la compréhension de la circulation des étudiants dans les universités européennes, puisque chaque « immatriculation » d’étudiant mentionne son lieu d’origine et surtout son diocèse d’appartenance. Une cartographie précise de la provenance des étudiants Dolois peut être élaborée grâce à ces registres, qui constituent de véritables Annales de la vie universitaire.

D’autres sources, issues des archives municipales de Dole, renseignent sur des aspects très pratiques de la vie quotidienne dans une université. Consciente d’attirer en ses murs une population jeune, masculine et potentiellement turbulente, la ville de Dole prend des dispositions afin de canaliser toute expression de violence. Ainsi, les échevins de la cité interdisent le port d’armes, la pratique du jeu, voire la déambulation nocturne. Malgré ces efforts, on recense quelques échauffourées ou cas de brutalité : en 1424, des étudiants flamands sont gravement agressés par des Dolois qui, arrêtés, sont conduits sous escorte à Salins auprès du bailli1. Le prince, par ses cours de justice, celle du bailliage et le parlement, l’université elle-même par le biais du tribunal de l’officialité, la ville proprement dite enfin, veillent ainsi au calme de la cité et à l’encadrement des étudiants.

Le sceau de l’université symbolise également l’effort de structuration de l’université doloise. Comme toutes les universités du temps, celle de Dole utilise des sceaux pour authentifier ses documents officiels et affirmer son identité. Les choix iconographiques sont ainsi très révélateurs : le grand sceau de Dole, flanqué d’une inscription latine (« le grand sceau de la vénérable université de Dole »), affiche les figures de saint Nicolas de Myre et de sainte Catherine d’Alexandrie, personnages très classiques et souvent utilisés sur les sceaux universitaires du fait de leurs histoires respectives. Le premier est célèbre pour être le patron des écoliers après qu’il est parvenu à ressusciter trois enfants assassinés par un épouvantable tavernier, tandis que la seconde, qui dialoguait avec des philosophes avant de subir son martyre, apparaît comme la protectrice, à la fois des écoliers et des enseignants. À ce grand sceau correspond un contre-sceau, lui aussi conservé, appelé également « petit sceau » et qui porte une inscription latine (« sceau secret de la philosophie »). Ce sceau a pour utilité de permettre de vérifier l’authenticité du grand sceau, puisqu’il apparaît au revers de celui-ci. L’image qui l’orne, un buste de femme avec sept rayons, est délicate à interpréter : peut-être est-ce la philosophie ornée des sept arts libéraux, à moins que ce ne soient sept ruisseaux qui émanent de la philosophie centrale afin de nourrir les arts ?

De Dole à Besançon : jeux d’influences

Toutefois, la lutte franco-bourguignonne met à mal cette longue et patiente organisation de l’université doloise. Désireux d’élargir le « pré carré » français en annexant le comté de Bourgogne, le roi de France Louis XI fait assiéger entre juillet et octobre 1477 la ville de Dole, qui est finalement prise en mai 1479. La cité est en grande partie saccagée, de nombreux habitants exécutés et les archives de la cité détruites pour une bonne part. La ville, occupée jusqu’au traité de Senlis en 1493, est minutieusement démantelée de toute son autorité : le parlement est transféré à Salins et l’université quitte Dole pour Besançon en 1482, puis s’installe à Poligny en juillet 1483. Mais la mort de Louis XI interrompt ce processus et l’université retrouve la terre doloise dès mars 1484 grâce, notamment, à l’intervention de Guillaume de Rochefort, chancelier du nouveau souverain Charles VIII. Rochefort a fréquenté les bancs de l’université doloise dans le passé et il s’attache à répondre aux attentes du corps municipal de Dole qui le presse de faire revenir les facultés sur ces terres. Les délibérations municipales conservées relatent ce rétablissement et comment les édiles s’organisent pour attirer à nouveau étudiants et professeurs en Comté. Pour y parvenir, il est décidé que les rentes, non versées à la faculté entre 1476 et 1479, doivent être restituées à cette dernière afin de permettre la reprise des activités universitaires.

Si le studium dolois renaît alors de ses cendres, les fragilités de l’institution demeurent et les membres du conseil de ville de Dole portent dès 1500, et à plusieurs reprises, des doléances auprès des « distributeurs », du bailli et du parlement. Ils s’adressent même au prince. Philippe le Beau lance quelques réformes en 1503 et Marguerite d’Autriche, dans une célèbre lettre patente de 1517, demande une enquête. La relation se tend alors en 1518 entre la municipalité de Dole et le recteur de l’université : ce dernier considère que les privilèges de la faculté, garantis par les statuts, sont bafoués par cette intrusion des pouvoirs publics dans le studium. Mais les difficultés ne se limitent pas à ces querelles, elles prennent même une ampleur inédite au cours du XVIe siècle avec, par exemple, de terribles épidémies de peste dans la cité : en 1526, le recteur lui-même s’enfuit de Dole face à la puissance de l’épidémie. En 1529, la cité doloise est tellement endettée, frappée par une misère sans précédent, qu’elle se voit contrainte d’emprunter de l’argent à l’université pour fournir du pain aux pauvres. À la fin du siècle, les chevauchées d’Henri IV entravent les échanges le long des routes du royaume et la capitale doloise est fortement affectée. Les trois sièges majeurs, dont celui de 1636 qui s’accompagne d’une violente épidémie de peste, amorcent la guerre de Dix ans, tandis que ceux de 1668 et 1674 sont à la fois destructeurs et perturbateurs, bouleversant en profondeur le fonctionnement de l’université. Cette atmosphère n’est pas propice aux circulations des étudiants et des professeurs. En outre, en 1582, les jésuites s’installent à Dole et insufflent, dans le collège de grammaire qu’ils reprennent, leurs nouvelles méthodes pédagogiques et l’esprit de la Réforme catholique. Très vite, ils attirent à eux plusieurs centaines d’élèves-étudiants qui se forment d’abord chez eux, puis rejoignent l’université pour obtenir leurs grades. Le studium dolois, d’esprit médiéval et d’enseignement classique, souffre face à la diffusion des idées humanistes et réformatrices. Même s’il se maintient une forte communauté d’étudiants flamands à Dole entre 1651 et 1674, comme en témoigne l’Album de la « nation » belge (un manuscrit en papier et parchemin qui consigne la présence ces étudiants catholiques flamands qui viennent obtenir leurs grades à Dole), ces derniers s’amenuisent progressivement face à la double invasion française des années 1668 et 1674. Avec la chute de Dole le 16 juin 1674 et son annexion, tous les regards se tournent alors vers Besançon.

Depuis 1668, les tractations pour déplacer l’université de Dole à Besançon sont engagées et répondent à la volonté centralisatrice de Louis XIV. Chaque principauté doit être structurée autour d’une ville majeure, siège d’intendance. Plus grande ville de la principauté comtoise, Besançon est toujours demeurée le centre du diocèse, mais ne possède pas, du fait de son statut de ville impériale, les attributs d’une capitale (sièges du parlement, de l’université) qui ont été captés par Dole. En outre, en 1664, Besançon voit sa situation géopolitique de ville impériale modifiée, puisque l’empereur Ferdinand III négocie son échange avec Philippe IV d’Espagne contre la plate-forme de Frankenthal. Besançon devient donc une ville sous souveraineté espagnole. Or, cette décision inquiète si vivement les magistrats de Besançon, jaloux de leurs libertés, qu’elle contraint le roi d’Espagne à confirmer les droits de la cité ainsi que la vieille promesse, faite par l’empereur Ferdinand Ier en 1564, de fonder une université à Besançon ! Ce basculement de la cité dans l’orbite espagnole en 1664 n’est donc pas sans lien avec la reconquête de la Comté par Louis XIV et le déplacement de l’université.

En mai 1691, par lettres patentes, Louis XIV ordonne le transfert de l’université de Dole à Besançon. Ainsi, Besançon est désormais « une ville forte, capitale de la Franche-Comté avec titre d’Archevêché, de Parlement et d’Université ». Cette victoire de la cité bisontine sur sa rivale doloise a cependant un coût : 150 000 livres doivent être versés, financés notamment par un emprunt des représentants de la ville à 5 % d’intérêt et par une augmentation du prix du pain. Mais elle marque la fin d’un drame provincial et de la rivalité entre deux cités depuis six siècles.

Les lettres patentes royales de 1691 exigent que Besançon fournisse un hôtel particulier pour accueillir les étudiants et les maîtres. La ville, qui ne souhaite pas payer un loyer démesuré pour son université, tant le transfert a déjà coûté très cher, choisit de louer trois salles du monastère des Grands Carmes. Cette solution est présentée comme provisoire… elle dure finalement un siècle ! Pour un loyer de 440 livres par an, l’université s’installe dans des locaux absolument pas adaptés à un jeune public qui déambule dans un dédale de couloirs étroits, de petites portes, de salles exiguës où tous les étudiants ne peuvent pas s’asseoir. L’humidité est forte, l’éclairage faible tant les quelques ouvertures des salles ne donnent que sur la ruelle des Carmes, une cour intérieure ou le jardin des Carmes. Les professeurs se plaignent de ces conditions de travail déplorables, qui limitent le rayonnement de l’université et fragilisent son maintien à Besançon, mais rien n’y fait. En 1724, moyennant une augmentation du loyer (540 livres), les Carmes acceptent de céder une cave située sous la salle de théologie afin de doter la faculté d’un amphithéâtre et d’une salle de dissection. Assurément, la ville ne parvient pas à tenir pleinement son engagement en faveur de son université, tant la question financière est cruciale pour la cité. Pour preuve, la place qu’occupent les « distributeurs » à l’université de Besançon, qui n’a aucun équivalent dans les autres universités françaises : choisis par le souverain, parmi les membres du parlement, nommés à vie, ils apparaissent comme les représentants du pouvoir gouvernemental dans l’université. Or, leur fonction première est celle de contrôler la gestion des revenus de l’université et la répartition de ceux-ci. Leur mission s’étend par la suite à toute l’activité universitaire.

Composée de plusieurs « ordres », l’université de Besançon est structurée en un premier ordre très institutionnel (chancelier, président) et en un second ordre qui comprend le recteur, les doyens et les professeurs. Le recteur est le représentant officiel de l’université, il en détient le sceau et a un droit de juridiction sur tous les membres de la faculté. Il n’est plus choisi, comme à Dole, par et parmi les étudiants, mais uniquement par les professeurs. L’université compte onze chaires de professeur (deux en théologie, six en droit et trois en médecine), dont la qualité est unanimement saluée par leurs contemporains. Certains enseignants se distinguent particulièrement, ainsi les médecins Rougnon, Tourtelle ou Atthalin, le théologien Jean-Baptiste Bullet ou les juristes Courvoisier et Dunod de Charnage. Ces derniers jouent un rôle crucial dans le maintien de Besançon comme centre universitaire attractif, même lorsque la ville de Dijon obtient sa faculté de droit le 20 septembre 1723. Réclamée par Dijon depuis son rattachement à la France, la perspective d’une université à Dijon ne plaît pas du tout, en revanche, aux Bisontins qui voient alors s’évanouir leur quasi-exclusivité dans les confins nord-est de la France. Reims, Pont-à-Mousson, Strasbourg et Bâle constituent alors leurs seules rivales proches, mais les deux dernières attirent essentiellement des étudiants protestants. Les Bisontins déploient tous leurs efforts pour empêcher la concrétisation de ce projet, envoyant même une délégation à Versailles, mais ils sont finalement trahis par leur propre président, le professeur de droit Joseph Bret, qui obtient en échange sa nomination comme doyen de Dijon ! La concurrence de Dijon est rude dans les premiers temps, provoquant la chute de près de la moitié des étudiants en droit puisqu’une grande partie de ceux-ci venait de Bourgogne et des provinces voisines. Grâce à la qualité de ses enseignants et de leur réputation, Besançon retrouve progressivement ses effectifs et peut revendiquer de poursuivre « avec dignité et même avec quelque éclat son utile carrière2 » au XVIIIe siècle.

La bibliothèque de l’université n’est pas étrangère au rayonnement de cette institution. C’est dans le contexte du transfert de l’université de Dole à Besançon que l’érudit Jean-Baptiste Boisot (1639-1694), qui a notamment accumulé des archives et des objets d’art ayant appartenu à la famille Granvelle, décide de confier sa bibliothèque à l’université bisontine. À la veille de son décès, il lègue finalement ses biens aux religieux de l’abbaye bénédictine Saint-Vincent de Besançon, sous condition qu’ils soient accessibles au public deux jours par semaine. C’est ainsi que naît en 1696 l’une des plus anciennes bibliothèques publiques de France, logée dans des bâtiments qui seront, par la suite, affectés à l’université. Cette bibliothèque compte alors plus de 1 500 volumes imprimés et 155 manuscrits. Elle offre aussi à voir onze tableaux dont, par exemple, les célèbres portraits de Nicolas Perrenot de Granvelle, de son fils le cardinal Antoine Perrenot de Granvelle et de l’ambassadeur Simon Renard. De fameux personnages du temps visitent ce lieu, tel l’historien Jean Mabillon (1632-1707). Lorsque, à la mort de Boisot en 1694, cette bibliothèque est déplacée au rez-de-chaussée de la rue Saint-Vincent (actuelle rue Mégevand), elle continue d’accueillir d’illustres figures de lettrés, tel l’exégète Augustin Calmet (1672-1757), et contribue à la réputation de la cité bisontine.

Dans les dernières années de l’Ancien Régime, l’université de Besançon est fragilisée par des tensions qui touchent alors la société tout entière, comme en témoigne l’affaire Dupuy en 1772, qui voit des étudiants issus de l’ordre aristocratique et bourgeois refuser d’accueillir parmi eux un étudiant, nommé Jean-Joseph Dupuy, fils d’un simple maître perruquier. Bien avant 1789, l’université connaît un déclin progressif. Ses portes se ferment le 22 brumaire an II (12 novembre 1793). Toutefois, un enseignement supérieur se maintient à Besançon hors du cadre universitaire. Dès 1794, les anciens professeurs de médecine organisent des cours gratuits d’anatomie, de botanique, de chimie et de pathologie. Puis, en 1795, une école centrale du Doubs s’installe dans l’ancien collège des Jésuites : elle tente de maintenir une certaine continuité avec l’ancienne université quant aux enseignements prodigués et au personnel recruté. La chaire de législation échoit bientôt à Jean-Baptiste Victor Proudhon. En 1802, les écoles centrales sont définitivement supprimées, remplacées par les lycées. La ville de Besançon est dotée d’un lycée au sein duquel Proudhon perpétue son enseignement et attire jusqu’à 82 étudiants, dont des Suisses et des Allemands. En 1808, lorsque l’enseignement supérieur est réorganisé au sein de l’Université impériale, la municipalité obtient la création de facultés au nom de ce qu’elle appelle, dans un mémoire de 1816, « le culte (que) les Comtois rendaient à la science ».

Notes :
1 – Archives départementales Côte d’Or, B 1626, compte de Jacques le Hongre, août 1424, fo17v. 2 –  Bernard Lavillat, L’enseignement à Besançon au XVIIIe siècle (1774-1792), Besançon / Paris, Annales littéraires de l’université de Besançon / Les Belles Lettres, 1977, p. 109.
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