Disposer d’une faculté de théologie représente un enjeu majeur pour asseoir l’université de Dole dans le paysage académique européen, marqué par une forte concurrence. Cet enseignement prestigieux doit favoriser la formation du clergé, voire la construction idéologique de la principauté bourguignonne1. C’est pourquoi la jeune communauté universitaire a supplié le pape de l’en doter, ce que Eugène IV concède le 29 septembre 1437, comme il l’a fait à Louvain dès 1432. La papauté s’est, un temps, refusée à multiplier les facultés de théologie, pour mieux les contrôler et limiter les risques d’hétérodoxie. Deux maîtres en théologie – John Wyclif († 1384) à Oxford et Jan Hus († 1415) à Prague – se sont en effet écartés de la doctrine de l’Église romaine, et leurs thèses, diffusées bien au-delà du petit cercle des étudiants, ont nourri de puissants mouvements dissidents – les lollards en Angleterre et les hussites en Bohême – réprimés et combattus comme hérétiques. Plusieurs croisades (1420-1434) ont contenu la propagation de la dissidence hussite dans l’Empire. Eugène IV revient à la conception prévalant au XIIIe siècle, selon laquelle l’enseignement de la théologie permet de lutter contre « les hérésies ».
Eugène IV, lettre In suprema dignitatis, 29 septembre 1437. Original sur parchemin, Archives départementales du Doubs, 1D1-4. L. Besançon.
Le pape rappelle la fondation de l’université à Dole et paraphrase la lettre de son prédécesseur, Martin V (1422), qu’il complète. Il y autorise l’enseignement de la théologie, avec les privilèges dont jouissent de telles facultés, sans préciser toutefois de modèle institutionnel. La lettre prévoit que « clercs séculiers et réguliers » puissent y « étudier, apprendre, commenter, exercer des actes publics et privés et recevoir les grades du baccalauréat et de la licence, ainsi que l’honneur de la maîtrise ». Cette décision institutionnalise l’enseignement de la théologie, qui est attesté à Dole dès les années 1420, sans doute au couvent franciscain, mais dont l’essor coïncide avec la création du collège Saint-Jérôme à la fin des années 1490.
Pourquoi Eugène IV accorde-t-il en 1437 ce que Martin V a sans doute refusé en 1422 ? En quinze ans, les changements géopolitiques ont rendu la faculté de théologie à la fois plus nécessaire à l’université de Dole et plus utile à la papauté. La lettre mentionne des « religieux de divers ordres » empêchés d’étudier la théologie par les « guerres ». Depuis que Philippe le Bon s’est réconcilié avec Charles VII (1435), les combats pour reprendre l’Île-de-France aux Anglais restreignent l’accès des étudiants bourguignons à l’université de Paris et sa prestigieuse faculté de théologie. La configuration politique de l’Église latine se trouve en outre bouleversée par le concile général qui siège à Bâle, dans la province ecclésiastique de Besançon, depuis l’été 14312. L’assemblée a d’emblée engagé avec la papauté une véritable épreuve de force. Dix jours avant d’approuver la requête doloise, Eugène IV a transféré le concile de Bâle à Ferrare, aggravant ainsi la division avec les partisans de la réforme conciliaire.
Réfugié à Bologne depuis 1433, le pape entend conserver l’obéissance de l’université bourguignonne et le soutien de son puissant prince. En 1437, son autorité est loin d’être assurée à Besançon3. En effet, comme bien d’autres évêchés de la chrétienté latine, le siège bisontin se trouve disputé : le doyen élu du chapitre cathédral s’oppose au cardinal-neveu qu’Eugène IV a nommé six mois plus tôt et qui ne parvient pas à s’imposer. Écartant « la crainte ou le fait d’encourir quelque peine séculière ou d’excommunication », la lettre est sous-tendue par les antagonismes survenus au sommet de l’Église latine et dans l’église bisontine. Ce contexte éminemment conflictuel a permis à l’université de Dole d’obtenir la plus prestigieuse des facultés et de devenir un studium generale complet.
