Le service des bibliothèques universitaires commence à prendre corps dès 1878. Une première instruction générale affecte alors un personnel de bibliothécaires spécifique pour ces nouveaux services et en précise les devoirs. Elle détaille également les opérations de classement et les mesures d’ordre et de conservation des bibliothèques universitaires. Peu après, un arrêté du 31 janvier 1879 du ministère de l’Instruction publique institue une commission centrale des bibliothèques universitaires puis, le 23 août, un règlement pour les bibliothèques universitaires, suivi d’une circulaire ministérielle le 15 octobre 1880. Un nouveau règlement national, adopté en 1886, permet aux étudiants l’emprunt de livres à domicile, sous certaines conditions.
Félix Prieur (1859-1927)1, reçu deuxième au certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire universitaire nouvellement créé, est recruté le 6 septembre 1880 comme bibliothécaire en chef de l’université de Besançon. Il fait ouvrir largement la salle de lecture aux étudiants tous les après-midi, de 13h à 17h, puis de 20h à 22h (sauf les dimanches et les jours fériés). Le matin, de 9h30 à 11h, le bibliothécaire « est à la disposition des professeurs » pour le prêt. Félix Prieur reste pendant 45 ans de carrière à ce poste, jusqu’au 1er novembre 1925 ! Il rend compte au recteur, chaque trimestre, de la situation matérielle de la bibliothèque et indique l’évolution chiffrée du nombre de volumes de la collection2. De 1883 à 1896, dans l’attente d’une construction neuve promise par la ville de Besançon mais sans cesse reportée, il fait part de son inquiétude croissante face à l’état déplorable des locaux et à l’impossibilité de faire face dans de bonnes conditions à l’accroissement continuel des collections. En 1888, le nombre de volumes de la bibliothèque de Besançon est de 14 300, dont 10 100 de petit format. En janvier 1889, les locaux sont décrits comme « étroits, mal disposés, incommodes, malsains, humides et naturellement plus encombrés que jamais ».
Le 11 février 1890, Edmond Colsenet présente au conseil municipal une demande de translation de la bibliothèque des facultés au palais Granvelle, dans les salles du premier étage utilisées par l’école de musique. Le rejet de cette proposition s’appuie sur l’incapacité pour la ville de pouvoir accepter de futurs dons ou un legs de Jean Gigoux, ainsi que sur le danger d’incendie que ferait peser le chauffage et l’éclairage de la bibliothèque sur les collections municipales présentées au palais Granvelle. De plus, avec l’accroissement annuel des collections de la bibliothèque universitaire, celle-ci serait très vite à l’étroit au palais. D’autres hypothèses sont envisagées : aménager pour un coût élevé une partie des combles de l’académie ou transférer le musée d’histoire naturelle « dans un des bâtiments municipaux où le public serait admis à le visiter » afin d’attribuer au vaste espace ainsi libéré à la bibliothèque, mais le doyen de la faculté des sciences s’y oppose.
En janvier 1891, la bibliothèque est tellement saturée que les volumes des envois et les dons récents sont empilés sans classement. En cet hiver rigoureux, les conditions de travail et d’études sont devenues difficiles pour les lecteurs, les personnels et les collections qui souffrent, plus que jamais, de l’humidité, malgré le feu qu’on y entretient pendant la journée. Du fait de la dispersion des locaux dans des bâtiments différents, il est impossible de chauffer toute une partie des locaux, ce qui a de graves conséquences sur la santé du personnel, ainsi que le signale F. Prieur dès le 8 octobre 1891. En juillet 1893, il devient à présent très difficile de s’y mouvoir à cause de l’encombrement : aucun classement ne peut être réalisé. Le 4 juillet 1894, la collection compte 17 658 volumes. Faute de place, la bibliothèque a été obligée « de consentir à prêter aux laboratoires des collections entières », « les rayons sont doublés partout où cela n’est pas absolument impossible ». F. Prieur est dépité de ne pouvoir satisfaire que très incomplètement les intérêts du public, pourtant si peu nombreux en raison de l’encombrement des locaux, multiples et dispersés. De plus, ces derniers sont imbriqués dans d’autres services dont le personnel se croise avec pénibilité.
Le 5 avril 1895, avec les 18 127 volumes dans ses collections, la bibliothèque universitaire « fonctionne presque exclusivement comme bibliothèque de prêt ». La situation empire, le 10 janvier 1896, les livres s’empilent désormais sous les escaliers, les tables et même les appuis des fenêtres sont recouverts. Dans ce vieux bâtiment, les livres, rongés par les parasites, pourrissent par l’humidité.
En 1896, la construction d’un vaste bâtiment neuf le long de la rue Mégevand, suscite plusieurs critiques, lors de sa conception, en cours de chantier, puis à sa réception. Dès le mois de mars de cette année, Émile Combes (1835-1921), ministre de l’Instruction publique, indique au recteur que « l’aménagement du dépôt de livres de la Bibliothèque universitaire n’est pas conçu de façon à répondre aux besoins de l’avenir ». Ce dépôt ne tarde pas à être insuffisant, nécessitant d’augmenter le nombre des rayonnages transversaux et d’en réduire l’écartement. Ainsi, la nouvelle bibliothèque s’installe de mai 1898 à fin janvier 18993, ouvrant les salles de lecture dès décembre 1898. Figure 1 Elle accueille une moyenne de 57 lecteurs par jour et de 212 emprunteurs4. En 1909, la collection compte environ 30 000 volumes, auxquels il faut ajouter ceux de l’école de médecine. De plus, 6 000 volumes provenant des bibliothèques ecclésiastiques s’ajoutent, à la suite de la loi portant sur la séparation des Églises et de l’État5.
En 1923, F. Prieur alerte à nouveau sur les éternels problèmes d’inconfort, de saturation et de poids : les plafonds menacent de s’effondrer, les thèses de médecine et de droit gisent en tas sur le parquet. À cette fin, en 1924-1925, Alphonse Burcey (né en 1866), architecte municipal, réalise un projet d’extension, pour un coût de 70 350 francs. Des rayonnages sont installés dans les locaux de l’ancien laboratoire de géologie, ainsi qu’un linéaire de deux kilomètres complémentaire dans deux greniers neufs, situés dans le comble du grand bâtiment de 1896. Le 20 mai 1927, le chantier est terminé et le déménagement se déroule jusqu’à la fin de l’année 1928. La collection compte alors 49 374 volumes.
Au 1er décembre 1926, le nouveau bibliothécaire en chef est Georges Gazier (1875-1951), qui assure également la mission de conservateur de la bibliothèque municipale. Jeanne Daguillon, archiviste paléographe, le seconde entre avril 1927 et août 1930 ; elle est remplacée jusqu’en 1936 par « Mlle Breton », licenciée en histoire et bibliothécaire universitaire, puis, jusqu’en octobre 1940, par Jeanne Spaier (1895-1978), licenciée en histoire-géographie et bibliothécaire universitaire.
Pendant l’hiver 1929, pour répondre aux plaintes des lecteurs depuis de longues années sur la température glaciale de la salle de lecture en hiver, un « calorifère chauffé au charbon » vient remplacer l’ancien poêle en faïence. De même, le public « réclame encore le remplacement d’un éclairage au gaz insuffisant par l’éclairage électrique ». Cette installation est également capitale dans les magasins où la recherche est impraticable dès la tombée du jour, particulièrement quand l’hiver arrive.
Au cours de l’année 1929-1930, au titre des réparations de guerre, la bibliothèque reçoit 550 volumes allemands, d’une valeur approximative de 75 000 francs, ainsi que « divers ouvrages scientifiques et littéraires d’un intérêt primordial, réclamés par les professeurs », complétés en 1930-1931 par un second envoi d’une valeur de 25 000 francs6.
Les mêmes doléances des professeurs et étudiants continuent. Les plafonds éventrés des deux salles de lecture laissent apparaître les lattes des planchers supérieurs, les murs sont noircis par la fumée, les peintures défraîchies, les papiers de tapisserie tombent en lambeaux, l’éclairage au gaz est défectueux. G. Gazier indique que « les étrangers font des comparaisons pénibles pour notre amour-propre national avec les cabinets de lecture de leurs universités, non seulement confortablement, mais luxueusement aménagés ». Chaque été, depuis le début du XXe siècle, ce sont 120 à 260 étudiants étrangers qui utilisent les installations de la bibliothèque pendant les vacances. Des travaux de restauration des salles et d’installation de l’électricité et de poêles à feu continu sont enfin réalisés en 1933. Le 5 octobre 1937, Maurice Piquard (1906-1983), diplômé de l’école des Chartes, remplace Georges Gazier, parti en retraite le 30 septembre. La collection compte à présent 58 940 volumes, plus les périodiques et les thèses étrangères.
En 1939-1940, M. Piquard est mobilisé et Jeanne Spaier obtient d’être secondée par deux étudiants tandis que d’autres étudiants permettent d’assurer le service de la salle de lecture. Malgré la pénurie de charbon durant l’hiver très froid, la mobilisation du relieur et la mort de son successeur, les alertes fréquentes qui ont interrompu les séances de lecture, la bibliothèque « a fonctionné à peu près normalement jusqu’au mois de juin [1940] ». Dans son rapport7, J. Spaier indique que les 15 et 16 juin 1940, « un grand nombre de nos lecteurs sont partis sans avoir le temps de rapporter les livres empruntés » ; s’ensuit une fermeture de quinze jours. Sa réouverture pendant l’été rend service aux professeurs et aux étudiants restants, ainsi qu’à de jeunes médecins prisonniers à l’hôpital Saint-Jacques.
Pendant l’Occupation, les effectifs des étudiants augmentent très fortement jusqu’à atteindre 750 en 1943. Georges de Loye (1914-2011), nommé bibliothécaire-adjoint en mars 1941, prend son poste en janvier 1942. Il est assisté par Mme Thomas et Mlle Bertheaux, qui assurent au mieux la communication et le prêt des livres. Le manque de place dans les magasins se fait de nouveau sentir et un travail de reclassement et de regroupement des collections est opéré. En 1945, les collections renferment 65 925 volumes, sans compter les périodiques, les thèses de médecine et de pharmacie, ni les thèses étrangères.