L’université de Dole, des troubles à son transfert

Jacky Theurot

De 1424 à 1691, date de son transfert définitif à Besançon à l’issue des sièges qui ont vaincu Dole et l’ont introduit, comme toute la Franche-Comté, dans le « pré carré » français, l’université connaît maints aléas. D’abord, dès 1425, le prince doit réagir face aux concurrences, sinon de Louvain, du moins de lobbies flamands, puis, dans les années 1450, de la pression de Besançon. Philippe le Bon n’hésite pas à confirmer le siège de « sa fille-l’université » à Dole. La mort du Téméraire amène Louis XI à transférer l’université – mais sans l’installer réellement – à Besançon, puis à Poligny.  Enfin, Charles VIII la rétablit en mars 1484.

Les massacres de la Guerre de Dix ans par Pierre Maublanc (1582-après 1637), vers 1637. Cette légende a été peinte en haut et à droite de la toile : « Cruautés exercée[s] sur les pauvres paysans de la Franche Contez [sic] par les soldats celtes [français] [et] allemands en l’ans [sic] 1636 et 1637 ». Pascal Brunet. Musée du Temps, Besançon, Inv.1992.8.1 . Pierre Guenat.

Les nombreuses vicissitudes de la vie de l’université – fonctionnement défaillant, légèreté de certains enseignants, variation de ses effectifs étudiants, problèmes financiers – conduisent les membres du conseil de ville de Dole – mayeurs, échevins et conseillers, dont certains pourtant y ont été étudiants – à porter dès 1500 à plusieurs reprises des doléances auprès des distributeurs, du bailli et du parlement, voire des princes, bien plus qu’auprès de l’archevêque. Cependant, le graphique représentant les immatriculés et gradués de l’université de 1498 à 1525 ne traduit pas forcément cette désaffection dénoncée.

Programme des cours de l’université de Dole, le 18 décembre 1643. Ce document indique les noms des professeurs qui enseigne en cette universitaire 1643-1644 : Jean Labbé, recteur magnifique, professeur de médecine, François Chaillot, professeur de droit, Constant Chifflet, lecteur de droit civil, François Vauchard, seigneur de Falletans, professeur de droit canon et Claude François Tallebert, professeur de droit civil. Pascal Brunet. Archives départementales du Doubs, 1C413l. L. Besançon.

D’autres évènements peuvent freiner le fonctionnement de l’université. Même si le XVIe siècle – sous Maximilien et Charles Quint – connaît une vie politique et militaire plutôt paisible, le récit municipal respire cependant, en 1498, une crainte latente. Déjà, lors des années 1451-1454, la mauvaise météorologie (pluies, grêle), aggravée par la présence de maladies, gêne le fonctionnement du parlement et celui de l’université. De nombreuses et fortes alertes de « pestilences » rôdant autour de la ville sont évoquées dans les délibérations municipales. Le recteur Chafoy quitte Dole en temps de peste et, en 1526, la rue Mont-Roland est barrée. Au cours du XVIIe siècle, ces peurs et ces phénomènes sont encore bien plus perceptibles et réels.

Le siège de Dole en 1636 par Nicolas Labbé, 1637. Commémorant le siège de la ville par les troupes du prince de Condé, lors de la guerre de Dix Ans, ce tableau présente un intérêt essentiellement documentaire, témoignage précieux pour l’histoire et l’archéologie de Dole. Il offre en effet la particularité de montrer les édifices publics et les maisons particulières, ainsi que le tracé des rues et des routes, dont la toponymie est scrupuleusement retranscrite. Ce grand plan cavalier restitue également une description précise des remparts de la ville, construits à partir de 1541, qui suffirent à soutenir le siège de 1636, mais ne résistèrent pas à ceux de 1668 et 1674. Nicolas Labbé est un peintre comtois que l’on pense natif de Clerval. L’œuvre du musée de Dole atteste de l’activité de l’artiste, « reçu habitant de Dole le 11 mars 1636, moyennant deux peintures ». Pascal Brunet. Musée des Beaux-Arts de Dole, 1995.1.1.

1529, année de misère, voit même la ville emprunter de l’argent à l’université pour fournir du pain aux pauvres. Ce contexte social affecte la mobilité des étudiants et des maîtres. À la fin du XVIe siècle, les chevauchées d’Henri IV alertent, gênant la circulation sur les routes d’accès à la capitale comtoise. Les trois grands sièges, dont celui, fameux, de 1636, auquel est associée une terrible peste, amorce de la guerre de Dix ans, et ceux de 1668 et 1674 – qu’évoquent les toiles célèbres de Nicolas Labbé et de Martin des Batailles – sont à la fois destructeurs et perturbateurs : ils altèrent le fonctionnement de l’université au temps des Habsbourg d’Autriche, et d’Espagne plus encore.

De plus, l’installation des Jésuites à Dole en 1582 – fait majeur – change la donne1. Lorsqu’ils reprennent le collège de grammaire, ils lui insufflent un dynamisme en partie perdu, sans remettre en cause l’enseignement fondamental. Mais c’est bien la pédagogie des Jésuites, leur force intellectuelle en pleine amorce de la Réforme catholique, qui font qu’au début du XVIIe siècle déjà, ils attirent plusieurs centaines d’élèves-étudiants. Leurs études accomplies chez eux, ceux-ci passaient ensuite, pour obtenir leurs grades, sous les fourches caudines de l’université, qui disposait en effet de maîtres encore actifs. Pour preuve, l’Album de la Nation belge atteste la forte présence des Flamands à Dole de 1651 à 1674. L’université de Dole, d’esprit médiéval et classique, avec ses méthodes traditionnelles, face également à l’offensive idéologique de la Réforme, est en difficulté. Lucien Febvre indique bien la « chasse » faite aux livres calvinistes et luthériens dans toute la Franche-Comté2 .

Le siège de Dole en juin1674, par Jean-Baptiste, Martin dit Martin des Batailles (1659-1735), qui a eu lieu du 26 mai au 6 juin 1674, en présence du roi Louis XIV. Second siège de la capitale comtoise par les Français au XVIIe siècle, c’est un des épisodes comtois de la guerre de Hollande, qui s’est achevée, en 1678 par l’annexion officielle de la Franche-Comté au royaume de France. Pascal Brunet. Musée des Beaux-Arts de Dole, 1995.1.1

Depuis 1668 au moins, comme le souligne Maurice Gresset3, les tractations pour déplacer l’université à Besançon sont engagées. La stratégie royale consistant à affirmer la centralité du royaume et à recentrer chaque principauté autour d’une ville principale siège d’intendance va également dans le sens de la volonté géopolitique de Louis XIV. Besançon, la plus grande ville de la principauté comtoise, a perdu sa fonction majeure, tout en restant le centre du diocèse. Si Dole, dès les ducs Valois, a capté les attributs d’une capitale – dont les sièges du parlement et de l’université –, la dynamique française va renverser le cours de l’histoire au profit de Besançon. C’est ainsi qu’il faut comprendre la fin de l’université doloise.


Notes :
1 – Selon l’étude de Julien Feuvrier, Un collège franc-comtois au xvie siècle, Dole, Alph. Krugell, 1889. 2 – Lucien Febvre, Philippe II et la Franche-Comté. Étude politique, religieuse et sociale, Paris, Champion, 1912. 2 – Maurice Gresset, « Le troisième centenaire du transfert de l’Université comtoise de Dole à Besançon », in Maurice Gresset et François Lassus (dir.), Institutions et vie universitaire dans l’Europe d’hier et d’aujourd’hui, Besançon, PUFC (« Annales littéraires »), 1992, p. 17-24. Bibliographie
  • Julien Feuvrier, Un collège franc-comtois au xvie siècle, Dole, Alph. Krugell, 1889.
  • Lucien Febvre, Philippe II et la Franche-Comté. Étude politique, religieuse et sociale, Paris, Champion, 1912.
  • Maurice Gresset, « Le troisième centenaire du transfert de l’Université comtoise de Dole à Besançon », in Maurice Gresset et François Lassus (dir.), Institutions et vie universitaire dans l’Europe d’hier et d’aujourd’hui, Besançon, PUFC (« Annales littéraires »), 1992, p. 17-24.
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