D’origine frisonne, le juriste et grand commis de l’État Viglius d’Aytta (Viglius Zuichemus ab Aytta, Leeuwarden, 1507 – Bruxelles, 1577) passe quelques années d’études à l’Université de Dole. Dans les anciens Pays-Bas, il laisse une trace prépondérante comme juriste et diplomate au service des Habsbourg. Viglius intéresse déjà les biographes et les éditeurs sous l’ancien régime. Au 20e siècle, l’historien néerlandais Folkert Postma lui consacre toute sa vie de chercheur, en documentant de manière complète son parcours et ses travaux.
Portrait de Viglius van Aytta (1507-1577), jurisconsulte, président du Conseil secret des Pays-Bas à Bruxelles par Frans Pourbus l’aîné (1545-1581). Paris, Musée du Louvre, RMN-Grand Palais, RF 3049. Tony Querrec.
Le jeune Viglius est soutenu par son oncle, Bernard Bucho Aytta, un important conseiller des seigneurs de Frise ; il ajoute d’ailleurs le nom du lieu de naissance de celui-ci – Swichum – à son propre patronyme. À La Haye, Viglius reçoit une formation de lettres classiques, notamment auprès du professeur de latin et de grec Jacobus Volcard. Ce dernier le prépare aux études supérieures qu’il accomplit, à l’image des humanistes de son temps, lors d’étapes plus ou moins longues dans plusieurs universités européennes. À partir de 1522, Viglius suit les cours du « Collegium » trilingue fondé en 1517 à l’Université de Louvain. En 1526, il poursuit ses études de droit à Dole, l’autre grand centre académique sous influence habsbourgeoise.
À Louvain et à Dole l’enseignement universitaire n’intègre cependant pas les progrès de l’humanisme juridique qui privilégie une approche scientifique des textes de la tradition et du droit romain. Sa quête d’excellence conduit Viglius en dehors de l’espace bourguignon, entre autres à Bourges (1529) et à Padoue (1531). Durant ces séjours, il rencontre de grandes personnalités, comme le juriste André Alciat, l’un des promoteurs des nouvelles études juridiques. À Padoue, il est nommé professeur, ce qui témoigne de la reconnaissance précoce de ses talents. Mais Viglius préfère déployer ses ailes sous d’autres latitudes.
À Dole, il s’est aussi fait remarquer pour ses qualités pédagogiques. Dès l’âge de vingt ans, il y a été choisi comme répétiteur pour les matières juridiques. Plus tard, en 1534, lorsque sa renommée est bien établie, l’Université de Franche-Comté lui offre un poste d’enseignant qu’il décline malgré ses bons souvenirs de la convivialité de Dole. En 1537, Viglius devient professeur ordinaire à l’Université d’Ingolstadt, où il occupe la fonction de « rector magnificus » et de doyen de faculté. Mais sa trajectoire l’appelle encore ailleurs : il choisit en effet d’embrasser une autre carrière, mêlant théorie et pratique du droit : le service des institutions publiques dans les Pays-Bas habsbourgeois.
Au cours de sa longue carrière comme diplomate et grand commis de l’État, Viglius tire profit de son compagnonnage fécond avec le monde intellectuel et universitaire dans plusieurs pays. Il garde et entretient des relations privilégiées avec une élite internationale humaniste, quelques amitiés solides et un important réseau de connaissances. À Dole, Viglius a rencontré les beaux-frères d’Antoine Fugger, le célèbre banquier de Charles Quint. À Fribourg, il est entré dans le cercle privilégié d’Erasme. D’autres liens personnels ont été tissés aux quatre coins de l’Europe. En tant qu’auteur, Viglius se distingue par des publications savantes de juriste et de pédagogue. À la fin de sa vie, pendant les années difficiles sous le duc d’Albe, il rédige par ailleurs son autobiographie.
Alors qu’il est attaché à la Chambre impériale de justice (Reichskammergericht) à Spire, Viglius est remarqué par l’entourage de Marie de Hongrie, gouvernante générale des Pays-Bas (1531-1555). Celle-ci souhaite faire appel aux compétences de ce conseiller de longue robe à l’excellente réputation. Viglius entre en son Conseil privé en 1542. Il intervient dans maints pourparlers politiques lors des diètes d’Empire. Il est l’auteur ou le co-auteur de nombreux textes de négociation et traités. Une de ses missions les plus importantes est menée en 1548 lors de la rédaction de la Transaction d’Augsbourg qui règle les liens juridiques et financiers entre les Pays-Bas et l’Empire.
En 1549, Viglius devient président du Conseil privé, une fonction qu’il cumule à partir de 1554 avec celle de président du Conseil d’État. Viglius est alors l’un des hommes politiques les mieux informés et les plus influents des Pays-Bas habsbourgeois : selon l’expression de l’historien Michel Baelde, il est le “pivot” de toutes les affaires gouvernementales et dirige l’ensemble des bureaux de l’administration royale à Bruxelles. Le champ d’action de Viglius est immense: des relations diplomatiques à la politique économique et monétaire, de la rédaction du contrat de mariage entre Philippe II et Marie d’Angleterre (1554) à la direction de la commission pour la création des nouveaux évêchés dans les Pays-Bas (1559). Il dispose d’une immense documentation personnelle d’archives, d’ouvrages et de rétroactes juridiques. Cette collection, dont il existe un inventaire très précis, a été précieusement rassemblée et compilée depuis sa carrière universitaire.
La carrière de Viglius épouse les rebondissements politiques et religieux de son temps. Il travaille de concert avec Antoine Perrenot de Granvelle, le principal conseiller de la gouvernante générale Marguerite de Parme (1559-1567) jusqu’au départ contraint de celui-ci en 1564. À partir de 1566, la Révolte des Pays-Bas compromet l’unité et la prospérité des territoires de l’héritage bourguignon. Durant cette période d’instabilité, Viglius conserve une attitude de loyauté indéfectible par rapport aux décisions du Roi d’Espagne. Il affiche toutefois des réticences face aux méthodes de répression les plus sévères, en particulier celles mises en place par le duc d’Albe (1567-1573). Selon Folkert Postma, Viglius n’aurait été qu’un « factotum » impuissant pendant ces années de conflit et de déchirement.
D’autres fonctions prestigieuses lui ont sans doute apporté un peu de consolation pendant les dernières années de sa vie. Resté attaché à ses racines, Viglius crée à Louvain un Collège frison pour douze étudiants-boursiers, dont six originaires de Frise. Il cumule les fonctions de chancelier du prestigieux Ordre de la Toison d’or, de premier bibliothécaire de la Bibliothèque royale à Bruxelles, de coadjuteur puis prévôt de l’abbaye de Saint-Bavon à Gand. Comme il est veuf depuis 1552 et sans enfants, cette dernière affectation l’oblige au célibat. Viglius meurt en 1577 ; il est enterré à Saint-Bavon à Gand.