La première faculté des sciences de Besançon est supprimée en 1815, lors du retour des Bourbons au pouvoir. Elle n’a eu que peu de temps pour se développer : une note du recteur Antoine Carbon en juillet 1844 précise qu’il ne reste d’elle qu’un « cercle répétiteur en très bon état et quelques débris d’un laboratoire de chimie de peu de valeur »1.
Amphithéâtre de l’Institut de physique, début XXe siècle. Archives départementales du Doubs, 68J1. L. Besançon.
Cela n’empêche pas Jean-Jacques Ordinaire, de retour comme recteur à partir de 1834 après dix ans de disgrâce, de militer pour son rétablissement. En 1837, averti que le gouvernement prépare la création de nouvelles facultés, il rédige un mémoire détaillé dans lequel il insiste sur les besoins de l’industrie horlogère, sur ceux de l’école de médecine et du séminaire, sur la nécessité de lutter en Suisse « contre l’influence envahissante de Fribourg », mais aussi sur l’appétence des Comtois pour les sciences. Selon lui, il n’est pas de province « où le goût des mathématiques soit plus généralement répandu ». Il est rejoint par Nicolas Vertel (1767-1845), qui souligne dans son discours de rentrée du 3 décembre 1837 que la réorganisation de l’école de médecine rend nécessaire le rétablissement de la faculté des sciences, puisqu’il faut désormais un baccalauréat ès sciences pour étudier la médecine. Le député du Doubs Théodore Jouffroy (1796-1842), professeur de philosophie à la Sorbonne, et ses collègues Charles-Louis Clément (1768-1857), Désiré Véjux (1795-1857) et Flavien de Magnoncour (1800-1875), s’appuient sur le texte d’Ordinaire pour rédiger à leur tour une demande soumise au ministre Narcisse-Achille de Salvandy (1795-1856) en février 1838.
Salle de manipulations de l’Institut de physique, début XXe siècle. Archives départementales du Doubs, 68J1. L. Besançon.
Une proposition de déplacement de la faculté des lettres à Grenoble, publiée dans le Journal officiel de l’Instruction publique le 28 septembre de la même année, fait craindre le pire. Une relance est envoyée au ministre par les députés en octobre 1838, par Ordinaire en janvier 1839, et par le préfet en juin de la même année. Surtout, préférant l’attaque à la défense, les Bisontins reviennent à la charge : l’académie des sciences, belles lettres et arts (dont le doyen Pérennès est le secrétaire perpétuel) diffuse publiquement une délibération imprimée en décembre 1838 et, en janvier 1839, le conseil municipal (où siège Ordinaire) vote une demande officielle. Une députation finit par obtenir d’être reçue au ministère en novembre 1839, composée du maire, Jean-Agathe Micaud (1770-1860), et de deux conseillers municipaux, accompagnés des députés du Doubs, Jouffroy et Clément, de Claude Pouillet (1790-1868), de l’Académie des sciences, et du général Delort (1773-1846), tous deux députés du Jura, ainsi que de Joseph Droz (1773-1850), de l’Académie française.
Salle des machines de l’Institut de physique, début XXe siècle. Archives départementales du Doubs, 68J1. L. Besançon.
Le ministre finit par donner son accord de principe, mais souligne que d’autres villes sont prioritaires car plus éloignées d’une faculté des sciences : Rennes, Montpellier, Lyon et Bordeaux doivent être servies avant Besançon, puisque Dijon dispose d’une faculté de ce type. En outre, il lui paraît alors « à peu près impossible pour le moment de trouver […] un nombre suffisant de professeurs pour remplir de nouvelles chaires », ce qui impose d’espacer les créations. Pour prévenir toute objection ultérieure, le conseil municipal décide de s’engager financièrement et vote, en décembre 1839, 6 000 francs de subvention pour créer deux salles de cours, et un total de 41 000 francs de matériel. L’offre est d’importance, mais le ministère la trouve encore insuffisante et fait monter les enchères : 75 000 francs supplémentaires sont votés en novembre 1842 par le conseil municipal pour la construction de bâtiments, et à nouveau 4 000 francs en février 1843 pour poser les bases d’une bibliothèque scientifique. L’accord officiel acquis en décembre 1842, la faculté rouvre par ordonnance royale du 15 février 1843.
Salle des machines de l’Institut de physique, début XXe siècle. Archives départementales du Doubs, 68J1. L. Besançon.
Son organisation concrète est confiée en septembre 1844 par le ministre Amédée Girod de l’Ain (1781-1847) à Henri Sainte-Claire Deville (1818-1881), élève du célèbre baron Thénard (1777-1857), nommé en même temps doyen et professeur de chimie. Charles Person (1801-1884), professeur de physique au collège royal de Rouen, est chargé à Paris de suivre la confection de tous les instruments de laboratoire et d’acheter tous les objets destinés aux collections. Les 41 000 francs votés par la ville sont ainsi consacrés à l’achat d’instruments de physique (22 000 francs), de chimie (10 000 francs), et aux collections d’histoire naturelle (9 000 francs, sachant que la ville met en outre à disposition ses propres collections). La séance de rentrée peut dès lors avoir lieu le 4 novembre 1845, après deux ans de négociations entre l’État et la ville pour l’aménagement des locaux.
Projet (plan, coupe et élévation) d’un laboratoire isolé pour le professeur de chimie, Alphonse Delacroix, 1843-1844. Archives municipales de Besançon, 4M4.
La chaire de mathématique est occupée par Victor Puiseux (1820-1883), celle de zoologie et botanique par Charles Grenier (1808-1875), et celle de géologie et minéralogie par Achille Delesse (1817-1881). Ces refondateurs constituent une cohorte diverse. Sainte-Claire Deville, Puisieux et Delesse sont des scientifiques de moins de 30 ans, normaliens ou polytechniciens, appelés à un brillant avenir, et nommés à Paris au bout de quelques années. Grenier, plus âgé, docteur en médecine, est un savant bisontin quarantenaire déjà très respecté, professeur d’histoire naturelle à l’école de médecine, qui devient un pilier de la faculté en conservant son poste jusqu’en 1874. Person, lui aussi médecin de formation, prend sa retraite de manière anticipée en 1856 après avoir succédé comme doyen à Sainte-Claire Deville à partir de 1851. À ces cinq premières chaires est ajoutée, l’année suivante, une chaire de mathématiques appliquées, confiée à Athanase Dupré (1808-1869) puis, dès 1847, à Théodore d’Estocquois (1817- ?), polytechnicien trentenaire, qui l’occupe pendant 20 ans avant d’être nommé à Dijon – stabilité qui contraste fortement avec ses collègues de mathématiques pures, qui restent rarement en poste plus de deux ou trois ans. Il faut attendre 1883 pour que soit créée une septième chaire, en astronomie, dans le sillage de la mise en place de l’observatoire astronomique, météorologique et chronométrique construit en 1882.