L’université de Besançon pendant la Révolution française

Maxime Kaci

À partir de 1789, plusieurs projets d’instruction publique portés par Mirabeau (1749-1791), Talleyrand (1754-1838) ou encore Condorcet (1743-1794) sont discutés, sans jamais emporter les suffrages des législateurs. Si l’enseignement supérieur n’est pas négligé dans le débat d’idées pédagogiques qui anime les premières années de la Révolution, les universités, rarement évoquées, semblent à bien des égards condamnées. Des institutions alternatives sont proposées et deux courants de pensée s’affrontent : l’un promeut un idéal encyclopédique d’établissements ouverts à toutes les sciences, tandis que l’autre, soucieux des sciences appliquées, prône la création d’écoles spéciales.

Affiche pour l’ouverture des cours de l’université en 1789. Bibliothèque municipale de Besançon, Ms.1571.

Le 15 septembre 1793, en réponse à une demande d’une députation de Parisiens qui réclament la suppression de tous les établissements scolaires de la capitale issus de l’Ancien Régime, les députés de la Convention décrètent que « les collèges de plein exercice et les facultés de théologie, de médecine, des arts et de droits sont supprimés sur toute la surface de la République »1. Le lendemain, cette décision est ajournée, faute d’accord entre les députés sur une nouvelle organisation de l’enseignement supérieur. Mais le contexte n’en demeure pas moins incertain, d’autant que les universités sont déstabilisées par plusieurs lois : l’abolition des privilèges en 1789, la suppression des corporations en 1791, comme la Constitution civile du clergé et l’imposition du serment civique refusé par bon nombre de professeurs, tant clercs que laïques, remettent en cause leur fonctionnement traditionnel. L’université bisontine, comme bien d’autres sur le territoire national, voit alors s’accélérer un déclin amorcé avant 17892. Elle finit par fermer ses portes le 12 novembre 1793.

Élévation de la façade de l’école centrale du département du Doubs, donnant sur la rue dite du collège de la ville de Besançon par Antoine Colombot. Bibliothèque municipale de Besançon, 2Fi503.

Un enseignement supérieur se maintient néanmoins à Besançon hors du cadre universitaire. Ainsi, en 1794, les professeurs de l’ancienne faculté de médecine organisent des cours gratuits d’anatomie, de botanique, de chimie et de pathologie. Le 7 ventôse an III (25 février 1795), les législateurs adoptent un décret qui réorganise les enseignements secondaire et supérieur en créant des écoles centrales, à la fois collèges et universités. Le député Charles François Dupuis (1742-1809) est chargé, en avril 1795, d’entrer en contact avec les autorités départementales pour organiser au plus vite l’école centrale du Doubs qui s’installe dans l’ancien collège jésuite de Besançon. Mais l’initiative est interrompue suite à l’adoption, le 3 brumaire an IV (25 octobre 1795), du projet d’instruction porté par Pierre Daunou (1761-1840) qui instaure des écoles primaires, des écoles centrales dans chaque département, des écoles spéciales dans les plus grandes villes et, enfin, un Institut national des sciences et des arts à Paris.

Élévation de la façade de l’école centrale du département du Doubs, vue du côté des jardins par Antoine Colombot. Bibliothèque municipale de Besançon, 2Fi505.

Le nouveau cadre légal semble désormais scinder enseignement supérieur et écoles centrales. Mais, localement, cette dissociation n’est pas mise en œuvre. La demande de l’administration du département du Doubs en faveur de l’établissement, à Besançon, d’écoles spéciales de médecine et d’art vétérinaire, ainsi que de peinture-sculpture-architecture, n’est pas satisfaite. Dès lors, l’école centrale, qui dispose d’une réelle marge de manœuvre, est utilisée pour maintenir une certaine continuité avec l’ancienne université, par les enseignements prodigués comme par le personnel recruté. Ainsi, en l’an V (entre 1796 et 1797), sont autorisés des cours de médecine et d’anatomie dispensés à l’hôpital Saint-Jacques. La chaire de législation échoit, dans un premier temps, à Pierre Joseph Grappe (1756-1825), ancien professeur de droit romain à l’université. Il est rapidement remplacé par le jurisconsulte Jean-Baptiste Victor Proudhon (1758-1838), déjà candidat pour la chaire de droit romain attribuée à Grappe. Un cours de sculpture est inauguré en l’an IX (entre 1800 et 1801). La même année, est adopté un plan d’éducation qui offre la possibilité aux élèves de l’école centrale de Besançon, dont le plus jeune a dix ans, de suivre une filière d’études étalée sur dix années3.

Lorsque la loi du 11 floréal an X (1er mai 1802) supprime définitivement les écoles centrales et leur substitue les lycées, les autorités locales demandent un lycée et au moins une école spéciale de droit. Le 10 décembre 1802, le préfet est informé que Besançon sera doté d’un lycée mais d’aucune école spéciale. Une nouvelle fois, une continuité d’enseignement se maintient hors du cadre institutionnel. Proudhon obtient l’autorisation de poursuivre son cours de législation « sans appointements [sic] de la part du gouvernement, mais avec le droit d’accorder aux élèves des certificats de fréquence »4. En l’an XIII (1804 et 1805), son enseignement attire jusqu’à 82 étudiants, parmi lesquels des Suisses et des Allemands. En 1808, lorsque l’enseignement supérieur est réorganisé au sein de l’Université impériale, la municipalité obtient la création de facultés au nom de ce qu’elle appelle, dans un mémoire de 1816, « le culte (que) les Comtois rendaient à la science »5.


Notes :
1 – Jérôme Mavidal et Émile Laurent (éd.), Archives parlementaires de 1787 à 1860 : recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises. Première série, 1787–1799, Paris, Imprimerie Dupont, 1909, t. LXXIV, p. 233. 2 – Jacques Verger (dir.), Universités et institutions universitaires européennes au xviiiesiècle. Entre modernisation et tradition, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1999 ; Roger Chartier, Jacques Revel, Dominique Julia (dir.), Les Universités européennes du xvie au xviiie siècle. Histoire sociale des populations étudiantes, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, t. 1, 1986 et t. 2, 1989. 3 – Maxime Kaci, « La Fabrique de la citoyenneté sous le Directoire : projets et innovations pédagogiques au sein des écoles centrales (1795-1802) », in Julien Pasteur et Carole Widmaier (dir.), L’Éducation à la citoyenneté, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, p. 59-74. 4 – Cité par Albert Troux, L’École centrale du Doubs à Besançon, Paris, F. Alcan, 1926, p. 62. 5 – Ibid., p. 241. Bibliographie
  • Louis Liard, L’Enseignement supérieur en France, t. II « de 1789 à 1893 », Paris, Armand Colin, 1894.
  • Albert Troux, L’École centrale du Doubs à Besançon, Paris, F. Alcan, 1926.
  • Dominique Jullia, Les Trois couleurs du tableau noir, Paris, Belin, 1981
  • Louis-Henri Parias (dir.), Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, t. 3 par Françoise Mayeur « De la Révolution à l’école républicaine », 2004
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