Lucien Febvre (1878-1956)

Marie Barral-Baron

« Nous ne sommes point, Comtois, des conformistes. Courbet ne l’était guère, ni Pasteur, ni Proudhon ne le sont », écrivait Lucien Febvre dans ses Combats pour l’histoire (1952). Né le 22 juillet 1878 à Nancy, terre de la France de l’Est qu’il ne cesse de valoriser dans ses travaux historiques, Lucien Paul Victor Febvre est un historien moderniste qui a composé une œuvre considérable et qui a toujours défendu une conception très ambitieuse du métier d’historien. Franc-comtois de cœur, il reste, durant toute son existence, très attaché à cette terre, vers laquelle il revient inlassablement par ses travaux et par ses choix de vie, puisque son fils aîné Henri naît à Besançon et qu’il choisit de passer sa retraite à Saint-Amour (Jura), où il repose pour l’éternité, après son décès qui survient le 25 septembre 1956.

Lucien Febvre, adossé contre le mur à gauche, avec sans doute Augustin Renaudet en haut de l’escalier, son père (Paul Febvre) en face de lui, sa mère (Edmondine Febvre) et une inconnue, dans le jardin des Fontenottes, à Besançon, vers 1906. Collection particulière.

Camarade d’Albert Thomas (1878-1932) et d’Henri Wallon (1879-1962) à l’école normale supérieure, il est agrégé d’histoire en 1902, puis pensionnaire de la fondation Thiers. Entre 1906 et 1911, il est nommé au lycée Victor Hugo de Besançon. Pendant cette période, il conduit ses recherches sur la Franche-Comté, qui aboutissent en 1911 à la publication de sa thèse, Philippe II et la Franche-Comté. Il découvre également le milieu universitaire bisontin car il donne un cours libre à la faculté des lettres, mais il n’éprouve pas la plus grande admiration pour ses collègues. Il s’épanche à ce sujet dans de nombreuses épîtres de sa correspondance : « J’ai fait connaissance d’un certain nombre d’ubs [autorités] universitaires d’ici, assez peu intéressants d’ailleurs. Le personnel de Besançon est un personnel bien amorphe », écrit-il à Henri Daudin (1881-1947) au mois d’août 19061. Il consacre également plusieurs essais à des figures comtoises, telles celles des Granvelle et de Proudhon.

Au fil de ses textes, sa conception de l’histoire s’affine. Faire de l’histoire avec Febvre devient un véritable engagement : selon lui, l’historien doit agir sur son époque, accompagner ses contemporains, les aider à mieux saisir le présent et les drames à venir, grâce à une meilleure connaissance du passé. Le métier d’historien est donc envisagé comme un combat, une lutte au quotidien qui ne cloisonne pas l’histoire et la vie, mais qui suppose, à chaque instant, une histoire vivante utile à la vie, indispensable pour déchiffrer les mutations auxquelles chaque individu est confronté au fil de son existence. Nommé professeur au Collège de France en 1933, Lucien Febvre propose à ses étudiants de plonger dans les entrailles de leurs ancêtres, de leur insuffler la vie, de les comprendre dans toutes leurs faiblesses et leurs forces, afin de faire revivre cette « pâte humaine » d’autrefois.

Cofondateur avec Marc Bloch de l’École des annales, créateur de la VIe section de l’EPHE2, inventeur de l’histoire des mentalités, pourfendeur de l’histoire traditionnelle, positiviste et historisante, Lucien Febvre laisse une marque indélébile dans l’historiographie. Sa pensée comme son œuvre constituent une étape fondatrice de la réflexion des historiens sur le passé. Son voisin à Saint-Amour, Léon Werth (1878-1955), a une formule particulièrement saisissante pour décrire le regard de son ami sur les siècles révolus : « Je l’ai vu extraire, de vieilles pierres, la vie », résumant ainsi une existence consacrée à l’histoire.

Notes :
1 – Voir la lettre complète éditée (avec d’autres) dans Marie Barral-Baron et Philippe Joutard, Lucien Febvre face à l’histoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019, p. 252. 2 – EPHE : École pratique des hautes études. Febvre y fonde la VIe section consacrée aux « sciences économiques et sociales » en 1947.
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