Les locaux universitaires aux Grands Carmes (1691-1790)

André Ferrer

Les lettres patentes royales accordant le transfert de l’université de Dole à Besançon disposent que le magistrat de la ville doit fournir à cet usage un hôtel particulier avec « les salles et chambres convenables pour les auditoires, leçons et assemblées dudit collège et les pourvoir de chaire, bancs et bureaux nécessaires ». Après quelques hésitations, la ville loue trois salles du monastère des Grands Carmes, attenantes à l’église des religieux. Cette solution provisoire va durer un siècle ! Les pères Carmes accueillent cette cohabitation forcée avec réticence : ils murent même une porte pour tenter d’y échapper. La ville propose un loyer modique de 440 livres par an, porté à 540 livres en 1724 lorsque les Carmes consentent à ajouter dans le bail une cave située sous la salle de théologie. Transformée en amphithéâtre et salle de dissection, elle est accessible par un escalier installé entre la grande salle et la salle de théologie.

Plan des salles de l’université. Archives départementales du Doubs, 1C413. L. Besançon.

Si l’unique portail débouche au cœur de la ville dans la Grande Rue, il donne aussi accès à la sacristie et au cloître des religieux. Passé ce portail, pour accéder aux salles universitaires, il faut parcourir, sur plus de 80 mètres, une succession de couloirs, de petites cours et deux portes larges d’à peine 90 centimètres (trois pieds). Lors des principaux cours, des assemblées, des examens ou des soutenances, une, deux, voire trois centaines d’étudiants, auditeurs et enseignants provoquent une belle cohue dans ce dédale !

Portail de l’abbaye des Grands Carmes, 88 Grande-Rue. Ce portail, lettre B dans la légende du plan ci-joint, est identique à celui de la chapelle Saint-Étienne de la Citadelle, construit en 1683. De 1691 à 1793, il donnait accès aux salles de l’université de Besançon. Gérard Dhenin.

Les salles sont bien trop exiguës pour accueillir le public de certains cours, des soutenances de thèses et des concours de recrutement. La plus vaste, longue de 17 mètres et large de moins de dix, comporte de grands bancs tout autour de la pièce et six plus petits au centre, la chaire professorale se situe dans un angle. La salle de théologie forme un carré un peu irrégulier d’environ dix mètres de côté. Une vingtaine de bancs font, pour la plupart, face à la chaire. Contiguë aux chambres des Carmes, la dernière salle mesure environ douze mètres de long sur six et demi de large. Des cloisons de bois la subdivisent en trois espaces : au fond, le local des archives, la bibliothèque et le vestiaire des professeurs ; au milieu, une petite salle de cours et, à l’entrée, une chambre dite « des conseillers ». Fondée en 1701 par une donation de Jean Girard, professeur de théologie, la bibliothèque s’enrichit grâce à d’autres dons et à des achats financés par le versement annuel de 50 écus de l’imprimeur de l’université.

Détail du plan des salles de l’université. Archives départementales du Doubs, 1C413.

À juste titre, les professeurs ne cessent de se plaindre de la médiocrité de ces locaux, insuffisants, humides, mal éclairés par quelques étroites ouvertures donnant sur la ruelle des Carmes, sur une cour intérieure ou sur le jardin des Carmes. Un rapport de 1738 révèle que ces fenêtres sont « pourries et que les vitres ne tiennent plus », les cheminées fonctionnent mal et la fumée envahit les salles, les bancs sont « vieux et caducs », certains étudiants « ne peuvent ni écrire, ni être assis ». L’université doit effectuer à ses frais l’entretien des locaux. Les élus bisontins rechignent à pourvoir de façon décente aux besoins de l’université dont il a fallu payer cher le transfert1. La ville est en permanence très endettée, ses ressources médiocres et son budget presque toujours déficitaire. Pour compléter ses enseignements, la faculté de médecine revendique de son côté l’usage d’un local de dissection anatomique et d’un jardin botanique équipé d’un pavillon pour loger le jardinier. Le jardin, tout d’abord fourni par les Carmes, s’installe ensuite sur un terrain acheté par la ville, rue Saint-Vincent2, à l’emplacement du futur théâtre de Ledoux. Une salle de dissection est aménagée sous la salle de théologie, mais elle est peu commode – une autre existe à l’hôpital Saint-Jacques.

Détail du plan des salles de l’université. Archives départementales du Doubs, 1C413.

À maintes reprises, l’université tente d’obtenir de nouveaux locaux, proposant, par exemple, de louer les lieux que l’abbaye des Trois Rois possède dans la Grande Rue. En 1722, l’université suggère d’occuper les vastes possessions de l’abbaye bénédictine de Saint-Vincent3 qui ont, en outre, l’avantage de contenir deux riches bibliothèques. Mais les bénédictins ne l’entendent pas ainsi, au moment où ils entament une rénovation de leurs bâtiments. De guerre lasse, la ville suggère de construire un bâtiment rue Saint-Vincent. En 1716, elle achète le terrain mais, faute de finances, les travaux débutent seulement en 1740 et demeurent à l’état d’ébauche4. Un autre projet, rue Neuve5, suggéré par l’intendant Lacoré en 1773, reste également sans suite.

Ainsi, la ville, qui n’a jamais pu tenir pleinement ses promesses, contraint l’université à se trouver confinée dans des locaux exigus et insuffisants pendant plus d’un siècle. Dans ces conditions difficiles, son rayonnement et son maintien à Besançon sont précaires.


Notes :
1 – La ville a dû verser 150 000 livres à Louis XIV. 2 – Actuelle rue Mégevand. 3 – Locaux actuels de l’UFR des  Sciences du langage, de l’homme et de la société, rue Mégevand. 4 – Le théâtre sera construit sur ce terrain entre 1777 et 1784, sur les plans de Claude-Nicolas Ledoux. 5 – Actuelle rue Charles Nodier.
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