Pendant de nombreux siècles, la présence des femmes est étrangère à la notion d’université. Mises à part les quelques gouvernantes ou régentes de la Franche-Comté, à l’époque médiévale et moderne1, les rares noms féminins qui sont cités dans les archives apparaissent seulement lorsqu’ils mentionnent une fille ou une épouse « d’universitaire ».
Si les femmes obtiennent le droit d’étudier à l’université dans la plupart des pays d’Europe entre 1850 et 1914, beaucoup d’organisations étudiantes demeurent essentiellement masculines2. Après plusieurs décennies, les étudiantes fondent leurs propres associations dans divers pays européens. À Besançon, les étudiants de l’AGEB3 déplorent eux le fait que les étudiantes ne viennent pas dans leurs locaux4 mais pas uniquement pour des raisons syndicales !
En 1811, Anne-Marie Lottin-Morel5 se distingue comme la première femme directrice du jardin botanique de Besançon, et sans doute comme la première femme directrice d’un jardin botanique en France. Cette fonction lui arrive par défaut : son mari Nicolas Morel, directeur du jardin de la promenade Chamars, ruiné, s’enfuit à l’étranger pour échapper à ses créanciers, abandonnant le jardin à son épouse. Mme Morel porte cette charge à bout de bras jusqu’en 1819. Mais, sans plus de moyens que son mari, elle voit son bail résilié courant 1821, à la suite d’un état des lieux où seules 489 espèces identifiables sur les 2 400 exigées contractuellement sont recensées.
Premières thèses soutenues par des femmes à l’université de Besançon. En sciences, par Anna Maisel (1909) et en lettres par Edith I. Bannerman (1929), Maria Valania (1932), Marie-Thérèse Mairot (1933) et Rosa Vallese (1934). université de Franche-Comté, BU sciences sport Claude Oytana et BU lettres et sciences humaines.
Anna Maisel6 semble être l’une des premières femmes à soutenir une thèse à l’université de Besançon. Le 19 juin 1909, elle obtient son « Doctorat ès sciences d’Université » sur les « Recherches anatomiques et taxinomiques sur le tégument de la graine des légumineuses ». Ses recherches, poursuivies dans les laboratoires de botanique agricole, sous la direction du professeur Paul Parmentier, fournissent « plusieurs faits intéressants, quelques-uns nouveaux, tels que l’interprétation scientifique des corps siliceux de Godfrin, de la ligne lumineuse des cellules épidermiques, la confirmation par l’anatomie de divers points ambigus de la classification des Légumineuses, etc. ». Il est précisé que « la récipiendaire, malgré son origine étrangère7 et sa difficulté à s’exprimer en français, a très convenablement exposé ses recherches et soutenu la discussion publique de son travail ; le jury, composé de MM. Magnin, président, Parmentier et Charbonnel-Salle, professeurs, l’a reçue avec la mention honorable».
Les étudiantes poursuivant leurs cursus peuvent devenir, à leur tour, enseignantes à l’université. C’est le cas de la Bisontine Marie Phisalix (1861-1946)8, née Picot. Après son agrégation obtenue à Paris en 1888, elle enseigne les sciences à l’université de Besançon. En 1900, Marie est l’une des premières femmes à obtenir le grade de docteur en médecine, référence majeure dans le monde scientifique. En plus de son activité académique, M. Phisalix participe activement à la cause du féminisme et s’engage, par la suite, dans la Ligue française pour le droit des femmes.
Pendant la Première Guerre mondiale, les « rapports des doyens » publiés dans la Revue internationale de l’enseignement relatent que, du fait de la mobilisation générale, certains cours se déroulent devant un auditoire exclusivement féminin. Dans l’entre-deux guerres, l’affaire Cloché9 révèle l’existence de rivalités entre étudiants et étudiantes dans le contexte du féminisme des années 1920.
Désormais, les femmes peuvent suivre des études supérieures. Pour la plupart d’entre elles, ces diplômes changeront leur destin, leur permettant d’accéder à des fonctions auparavant uniquement masculines. Suzanne Peuteuil (1903-1993), étudiante bisontine en histoire et en anglais (1923-1925), en est un exemple10. Ses études à la faculté des lettres lui ouvrent une belle carrière d’écrivaine et de journaliste. Elle s’engage, dans les années 1930, pour la défense des fortifications de Besançon, puis est à l’origine de la création de la Société des amis de Courbet11. À cette même époque, d’autres thèses soutenues par des femmes sont identifiées à la faculté des lettres12. En 1929, Edith I. Bannerman, étudiante écossaise d’Édimbourg, en soutient une sur « Les influences françaises en Écosse au temps de Marie Stuart »[13]. Le 30 juin 1932, Maria Valania obtient son doctorat sur « L’Abbé Galiani et sa correspondance avec Madame d’Epinay ». En 1933, Marie-Thérèse Mairot, née Dromard14 le 3 mai 1890 à Besançon, présente sa thèse sur « Le fond de la Joconde et l’esthétisme de Léonard de Vinci ». En 1934, Rosa Vallese, née Ercolano, soutient à son tour sur « Le thème de la mer dans l’œuvre de Chateaubriand».
Étudiantes et étudiants, travaux pratiques avec des microscopes. Collection privée. Michel Meusy.
Après la Deuxième Guerre mondiale, la population étudiante s’accroît de manière exponentielle avec, en corollaire, une montée des inscriptions féminines. À l’université de Besançon, en 1958-1959, les 838 étudiantes représentent 38 % des effectifs universitaires. 386 sont inscrites en sciences (29 % des effectifs sont féminins), 373 en lettres, où elles sont majoritaires (59 %). Si elles sont 33 en médecine (soit 27 %), la parité est atteinte en pharmacie avec 46 étudiantes pour 47 étudiants.
Au bal de l’AGEB : élections agitées de Miss université”, n°13, décembre 1954. Collection privée.
Mais si les étudiantes réussissent à s’affirmer peu à peu dans la vie universitaire, des pratiques grivoises organisées par les corpos, comme l’élection de Miss Université ou, plus tard, de Miss Campus, véhiculent des valeurs sexistes. De même, la tradition du bizutage15, tout particulièrement en médecine et pharmacie, mêlée à une forte consommation d’alcool, est une potentielle source de violences sexuelles et sexistes, qui dure de longues années.
Rallye automobile à la faculté des lettres, 9 au 15 avril 1967. Photographie témoignant de la présence d’étudiantes dans la vie universitaire. Bibliothèque municipale de Besançon, Ph29755. Bernard Faille.
Dans les années 1960, le nombre de jeunes femmes poursuivant des études supérieures est plus important. Les reportages photographiques des promotions universitaires ou les clichés dans la presse en témoignent. Jusque-là essentiellement masculins, ils laissent enfin apparaître des jeunes étudiantes en cours ou dans la vie de l’université.
Vote des étudiantes et des étudiants à la faculté des lettres, 11 juin 1968. Bibliothèque municipale de Besançon, Ph 33065. Bernard Faille.