Le transfert de l’université de Dole à Besançon, ou la fin d’un drame provincial (1654-1691)

Jérôme Loiseau

Mai 1691 : par lettres patentes, Louis XIV, en pleine guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), ordonne de transférer l’université « qui est dans la ville de Dole » en sa « ville de Besançon », en raison du soin qu’il prend à « procurer l’avantage et le soulagement des peuples » de son comté de Bourgogne. Évidemment, rien ne transpire de la mécanique financière qui préside à ce décret-loi tombé du ciel fleurdelysé. Il en coûte 150 000 livres au corps de ville bisontin (le magistrat), payables en trois termes, et financés notamment par un emprunt des représentants de la ville à 5 % d’intérêt et par une augmentation du prix du pain. Cette décision, les lettres l’indiquent, s’inscrit dans la continuité de la déclaration du 22 août 1676 par laquelle Louis XIV, deux années après la conquête du pays, déplace le parlement de Dole à Besançon.

Le siège de Besançon en mai 1674 par Pierre Denis Martin dit le Jeune ou des Gobelins. Louis XIV a assisté au long siège qui a abouti à la prise de Besançon par ses troupes, le 22 mai 1674. Musée des Beaux-Arts de Dole, cl. Henri Bertand.

Ainsi, au printemps 1691, Besançon est-elle une « ville forte, capitale de la Franche-Comté avec titre de l’Archevêché, de Parlement et d’Université », mais non pas, comme l’écrit en 1695 Nicolas de Fer, auteur d’un catalogue des villes fortifiées d’Europe1, avec chambre des comptes. En dépit des sollicitations anciennes du magistrat bisontin, cette dernière demeure à Dole jusqu’à sa suppression en 1771 et son remplacement par un bureau de finances. Mais, capitale de la Franche-Comté, la cité des bords du Doubs l’est très officiellement depuis les lettres patentes du 1er octobre 1677.

Sa victoire sur Dole, sa rivale, par la volonté du roi de France, rappelle que les corps urbains se mènent, à l’époque moderne, une guerre impitoyable pour accueillir des fonctions, notamment institutionnelles, dans un souci certes de distinction provinciale qui élève d’abord leurs dirigeants mais aussi afin de mieux soutenir, le cas échéant, leurs droits et libertés face au souverain. Mais ce processus qui sourit à Besançon laisse aux Bisontins un goût amer. Obtenir le parlement a coûté 300 000 livres, qu’il faut acquitter par quatre nouveaux impôts indirects (le rouage, la gabelle du vin, la gabelle de la boucherie, l’entrée sur les marchandises) et pire encore la restructuration “à la française” du corps de ville qui met fin à une tradition d’autonomie politique puissante et ouvre la voie à l’intervention des agents du roi dans le choix du maire et des échevins. L’université vient donc alourdir le fardeau de la conquête française.

Toutefois, la capitalité bisontine n’est pas seulement un fait monarchique et français, elle est aussi et surtout l’achèvement d’une dynamique géopolitique suscitée par les traités de Westphalie (1648)2. L’empereur Ferdinand III y a abandonné la rive occidentale du Rhin à Louis XIV. Besançon voit sa situation géopolitique de ville impériale en être affectée, d’autant qu’en 1654 Ferdinand III l’échange avec son cousin Philippe IV d’Espagne contre la place-forte de Frankenthal. Besançon devient donc une ville sous souveraineté espagnole. Une nouveauté dans un monde qui valorise la tradition ! Et, de fait, le magistrat bisontin renâcle, craignant pour ses libertés à tel point qu’en 1664, il faut à Philippe IV d’Espagne en passer par un traité avec le magistrat par lequel, en échange de la reconnaissance de la souveraineté espagnole, la ville voit ses droits maintenus, sa juridiction s’étendre sur une centaine de villages et la confirmation de la vieille promesse prise par l’empereur Ferdinand 1er en 1564 d’y fonder une université.

La décision de 1654 a donc entraîné des remous et suscité une intense rivalité avec Dole, siège du parlement, de la chambre des comptes et de l’université, et avec Gray, ville où se trouve le gouverneur militaire. À n’en pas douter, elle est la toile de fond des deux conquêtes de la Comté. D’ailleurs, les capitulations que Louis XIV accorde en 1668 à la ville de Besançon, au lendemain de la première conquête, lui accordent l’université

Ce transfert finalement effectué en 1691 signe bien la fin de ce drame provincial engendré par la réorganisation des lieux de pouvoir ; il met aussi un terme à cette guerre des deux villes et promeut une situation plus apaisée, du moins jusqu’à ce que Dijon obtienne elle aussi, après plus d’un siècle de demandes toutes ajournées, une université (1722) !


Notes :
1 – Nicolas de Fer, Les Forces de l’Europe ou Description des principales villes avec leurs fortifications, Paris, s. éd., 1695. 2 – Darryl Dee, Expansion and Crisis in Louis XIV’s France. Franche-Comté and Absolute Monarchy, 1674-1715, Rochester, Univ. of Rochester Press, 2009 ; Maxime Kaci et Jérôme Loiseau, « Des frontières immatérielles », Annales de Bourgogne, t. 92, vol. 1, 2020     Bibliographie
  • Darryl Dee, Expansion and Crisis in Louis XIV’s France. Franche-Comté and Absolute Monarchy, 1674-1715, Rochester, Univ. of Rochester Press, 2009.
  • Maxime Kaci et Jérôme Loiseau, « Des frontières immatérielles », Annales de Bourgogne, t. 92, vol. 1, 2020.
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