Le jardin botanique du Petit-Chamars : la Ville, relai de l’université

Arnaud Mouly

Le jardin botanique du Petit-Chamars, installé de 1804 à 1821, marque une période particulière de l’histoire de l’enseignement supérieur à la suite de la dissolution des universités françaises à la Révolution.  L’enseignement de la médecine se déroule directement à l’Hôpital Saint-Jacques. L’enseignement des sciences se fait à l’École centrale1, jusqu’en 1804, puis à la faculté des sciences, à partir de 1809 et jusqu’en 1815, date de sa suppression. Ainsi, le Jardin botanique, sous l’égide de la municipalité, sera le lieu d’apprentissage des sciences botaniques pendant la vacance partielle de l’enseignement supérieur académique.

Catalogue des plantes du Jardin botanique de J. F. Nicolas Morel, 1805. Page de titre du livre publié à Besançon, chez la veuve Daclin, an XIII [1805]. Archives municipales de Besançon, 2R5. L. Besançon.

Le médecin-botaniste J. F. Nicolas Morel et sa famille apportent à la Ville de Besançon, courant 1803, des propositions d’aménagements, de gestion et de contributions financières en vue de l’établissement d’un jardin botanique le long des murs de la Préfecture, ancienne Intendance2. Monsieur Morel, originaire du département de la Seine, a suivi cinq années de cours de botanique au Muséum national d’Histoire naturelle, dispensés par les citoyens Jussieu, Lamarck et Desfontaines à partir de 1798. Une amodiation3 municipale de trente années oblige, moyennant subvention, l’adjudication du terrain et la jouissance d’un pavillon, à l’obligation de créer et de maintenir un jardin de 2400 plantes indigènes et exotiques, en extérieur et dans une serre chaude. Il est également convenu d’offrir annuellement un cours d’une cinquantaine de leçons et d’organiser des excursions botaniques pour une douzaine d’élèves. Dès 1805, M. Morel publie un impressionnant catalogue des plantes du jardin, dénombrant 2999 espèces au total.

Plan du Jardin botanique du Petit-Chamars, janvier 1806. Archives municipales de Besançon, 2R5. L. Besançon.

Une délibération du conseil municipal de 1807 agrandit le jardin botanique et confie à au couple Morel les fonctions de conservateurs de la promenade de Chamars. En contrepartie, la famille se voit demander la culture de 3000 espèces exotiques et la mise en place d’une pépinière d’arbres pour l’embellissement de la ville. Les membres de la famille devront aussi s’occuper des oiseaux de la promenade Chamars et du canal.  Monsieur Morel décrit aussi les rôles de sa femme, Anne-Marie Lottin, dans ce nouveau jardin : « Mon épouse, compagne de mes études et qui partage mes goûts pour la botanique […], se charge de la dessiccation des plantes et de la correspondance pour l’herbier ».

Monsieur Morel établit un plan d’apprentissage de la botanique au travers d’un « Tableau synoptique d’un cours de botanique […] selon la méthode naturelle de Jussieu » de 27 pages, très dense et très complet, lequel porte assez haut le niveau de formation dispensé à Besançon. Vers 1811-1812, Jean-Jacques Ordinaire (1770-1843), recteur de l’Académie, estimant que cette charge relève des professeurs de la faculté des sciences, lui interdit de dispenser des cours de botanique.

À la suite de l’arrêt de cet enseignement, et les Morel souffrant de trop fortes créances, le jardin botanique du Petit-Chamars se délite rapidement. La vente de plantes ne fournit pas assez de revenus et les Morel s’endettent, malgré des subventions municipales. N. Morel fuit vers 1811 pour échapper à ses créanciers et laisse le jardin à son épouse. Celle-ci, devenant de facto la première femme directrice du jardin botanique de Besançon, s’applique à maintenir à flot ce jardin pendant plusieurs années, toutefois, sans plus de revenus que son mari avant elle, la tâche n’est pas aisée.  Une expertise, demandée en 1819 par le préfet, montre que les serres sont écroulées et que le Jardin contient moins de 500 espèces végétales. Messieurs Ravier (jardinier) et Groslambert (pharmacien) sont chargés par le maire de Besançon d’établir un inventaire des plantes du jardin botanique, lequel ne comprend plus que 489 espèces ou taxons identifiables sur les 2400 exigés dans les accords passés. À la suite du premier état des lieux de 1819, Madame Morel est délogée, par résiliation du bail, courant 1821. Messieurs Gevril, employé de l’académie, et Groslambert, missionnés par le maire de Besançon, exécutent, en 1821, un nouvel inventaire des plantes du jardin botanique laissé en désuétude par la famille Morel. En l’absence temporaire de faculté des Sciences, les quelques 500 plantes survivantes sont transférées, en 1821, dans la cour de l’académie4, rue Mégevand rejoignant les collections du Cabinet d’histoire naturelle. Le terrain où était situé le jardin botanique est réaffecté à un couple de restaurateurs, M. et Mme Sauget5. De nouveaux baux seront établis par la suite à d’autres commerçants jusqu’en 1831. Les restes du jardin et le pavillon seront détruits en 1828, ce qui profitera à l’extension des bâtiments de l’Arsenal.

Notes :
  1. Actuel collège Victor Hugo.
  2.  Espace actuel du parking entre le centre des impôts de Chamars et le mur de la préfecture. Le pavillon du jardin placé là où sont les bâtiments d’accueil public de la préfecture.
  3. Une amodiation est un acte juridique par lequel une autorité publique ou un particulier affecte à un tiers (entreprise privée ou collectivité) un terrain (ou un point d’amarrage) pour une durée limitée et, en principe, de façon réversible.
  4. Actuelle grande cour de la faculté des Lettres et des Sciences humaines.
  5. Courrier de Mme Morel au Maire de Besançon de 1821, Archives municipales, Cotes 2R5 et 2R35.
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