Le registre des délibérations des professeurs révèle qu’en mai 1772, les étudiants en droit cessent de fréquenter les cours, sous le prétexte qu’on y admet Jean-Joseph Dupuy, fils d’un maître perruquier de Besançon. Cet ostracisme est porté par un groupe aristocratique et bourgeois qui s’indigne de la présence sur les bancs d’éléments populaires. Les professeurs menacent les grévistes de leur interdire l’accès aux examens et affirment que « les Universités étoient ouvertes à tout le monde, qu’on y envisageoit que les qualités personnelles de l’étudiant, et non point la condition, ny l’état du père… ». Le professeur Guillemin convoque plusieurs étudiants en droit : Jean-Antoine-Marie de Mesmay-Montaigu, procureur général des étudiants, Nicolas-Marie Tonnet, vice-recteur, Pierre-Ignace Archeret, ancien vice-recteur, Ferdinand-François-Joseph Breney et Pierre Antoine Fransquin. Malgré les tentatives d’apaisement, la crise persiste : des étudiants partent pour obtenir leurs grades dans d’autres universités, d’aucuns boudent les cours.
Certains professeurs, soucieux de calmer les tensions et inquiets des désertions d’étudiants, suggèrent à Dupuy de moins fréquenter les cours, mais celui-ci joue au contraire de la provocation, s’y montrant « dans un habit peu décent, les cheveux non accommodés», un comble pour un fils de perruquier ! Des violences se produisent à la sortie des cours, dans la rue et dans un cabaret. Guillemin exige des excuses de la part de Dupuy, qui s’y refuse et se heurte, en cours, au professeur Seguin. Dupuy est provisoirement interdit de cours jusqu’en juillet. Curieusement, l’affaire Dupuy se calme alors, sans plus aucune mention dans les archives, sinon que le jeune étudiant poursuit et achève ses études de bachelier en droit.
Cette histoire se situe dans un contexte troublé par une dramatique crise de subsistance en 1770-1771, consécutive à de mauvaises récoltes, mais aussi par une crise politique, avec le remplacement des parlements par des conseils supérieurs de justice, imposés par Louis XV. Cela révèle les tensions qui existent dans la société d’Ancien Régime à la fin du XVIIIe siècle. « Vous vous êtes donnés la peine de naître et rien de plus » (Beaumarchais, Figaro, 1778) : la réaction nobiliaire tend à fermer l’ascension sociale aux catégories populaires. C’est vrai à l’université de Besançon, mais aussi dans toute la France pour les postes d’officiers dans l’armée ou pour l’accès aux parlements, désormais fermés aux avocats.