Jean-Baptiste Suard, un étudiant singulier : du cachot à l’Académie française (1732-1817)

André Ferrer

Jean-Baptiste Suard, fils d’Edme Suard, secrétaire de l’université, est né à Besançon le 15 janvier 1732. Brillant étudiant en droit, il remporte de nombreux prix, dont le concours de fleuret. Dans la rivalité qui oppose constamment les étudiants et les jeunes officiers de la garnison, Suard se distingue très vite. À 17 ans, il sort victorieux d’un premier duel, blessant son adversaire. Puis il sert de témoin à l’un de ses amis, Colin, dans un autre duel qui se termine tragiquement par la mort d’un jeune capitaine, neveu du secrétaire d’État à la guerre, Marc Pierre d’Argenson. L’affaire fait grand bruit, un monitoire est publié : Colin s’enfuit à l’étranger mais, sur l’ordre de l’intendant, Suard est arrêté, mis au cachot, condamné et emprisonné par lettre de cachet dans les îles de Lérins, au fort royal de Sainte-Marguerite1.

Portrait de Jean Baptiste Antoine Suard (1733 – 1817), lithographie de Julien Léopold Boilly (1796-1874). Bibliothèque municipale de Besançon, EST.FC.2923.

Libéré seulement 18 mois plus tard, Suard est accueilli triomphalement à Besançon. Il gagne peu après Paris, où son talent et son esprit lui permettent rapidement de faire carrière dans les milieux littéraires et philosophiques. Il se fait remarquer dans tous les salons à la mode, ceux de Mesdames Geoffrin, Tencin, Necker et de Julie de Lespinasse. Il travaille d’abord pour le financier Peyre et apprend facilement l’anglais. Journaliste, il collabore au Journal étranger, à la Gazette de France, aux Variétés littéraires et au Mercure. Ami des abbés philosophes Raynal et Arnaud, il tisse aussi des liens avec Montesquieu, Fontenelle, Morellet, le baron d’Holbach, Helvétius, Diderot et d’Alembert… Il correspond avec Voltaire, Hume, Lord Stormond, John Wilkes, l’abbé Galiani, le margrave de Bayreuth. En 1766, il épouse Marie-Amélie Panckoucke, sœur du célèbre éditeur. Suard participe financièrement aux éditions de son beau-frère et dirige avec d’Alembert et Condorcet le projet d’une refonte de l’Encyclopédie. Il traduit de nombreux ouvrages anglais pour les éditions de Panckoucke, dont une Histoire de l’Amérique de Robertson, les récits des expéditions maritimes de Banks et des deux premiers voyages de Cook. Il est élu à l’Académie française en 1772. Refusé par Louis XV pour sa proximité avec les Encyclopédistes, il est finalement reçu en 1774, après la mort du roi. Suard devient aussi censeur royal et secrétaire de l’Institut, pensionné par Louis XVI.

Buste de Jean Baptiste Suard par le sculpteur bisontin Jean Petit (1819-1903). Ce buste est présenté dans la niche de l’ancien poêle de l’antichambre du bel étage de l’hôtel de l’abbé de Courbouzon, au 20 de la rue Chifflet. Université de Franche-Comté. UFR SLHS. Gérard Dhenin.

Il perd une partie de ses revenus avec la Révolution, doit se mettre à l’abri pendant la Terreur, puis s’exile en Suisse et en Allemagne. Rallié au Consulat et à l’Empire, il participe à la réorganisation de l’Académie française en 1803 et en devient secrétaire perpétuel. Il meurt à Paris le 20 juillet 1817. Un buste de Suard, par Jean Petit2, se trouve à l’université dans l’antichambre du salon Préclin.


Notes :
1 – Ce fort a eu de nombreux détenus célèbres, dont le “masque de fer” et, après Suard, le marquis de Jouffroy d’Abbans. 2 – Jean Petit (1819-1903), sculpteur né à Besançon, élève de David d’Angers à l’école des Beaux-arts de Paris, a obtenu la pension Suard de l’académie de Besançon en 1844. Il est connu pour ses bustes, notamment ceux de Charles Nodier, de l’abbé Boisot, du pape Pie IX, ou ses statues (le cardinal de Granvelle, Jacques-Auguste de Thou).
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