La philosophie, à Besançon, de la Révolution française à la Seconde Guerre mondiale, a été nourrie par deux lignées de penseurs : celle des théoriciens de la réforme sociale et celle des métaphysiciens et philosophes des sciences.
Besançon a vu naître Charles Fourier (1772-1837) et Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865), deux des principaux fondateurs, avec Saint-Simon, du socialisme français. Pour souligner l’importance de la contribution de la Franche-Comté à la philosophie française du XIXe siècle, il faudrait ajouter Antoine Augustin Cournot (1801-1877), à Gray, mathématicien et philosophe des sciences. Fourier est contemporain de Jean-Jacques Ordinaire, le premier titulaire de la chaire de philosophie de la nouvelle université de Besançon (1810-1824), refondée sous l’Empire. Il a, comme ce dernier, brièvement connu la prison de Besançon pendant la période révolutionnaire. Dans les années 1810, un cercle se forme à Besançon autour de lui, dont Désiré Ordinaire, naturaliste, frère de Jean-Jacques.
Portrait lithographique de Désiré Ordinaire (1773-1847). Institut National de Jeunes Sourds de Paris, 11898.
Tout oppose les trajectoires de Proudhon et de son contemporain Jean-François Perron (1804-1880), né en Haute-Saône. Le premier, ouvrier typographe à Besançon, découvre Fourier en 1829 en relisant les épreuves du Nouveau Monde industriel et sociétaire et publie en 1840 Qu’est-ce la propriété ? Le second consacre ses recherches doctorales à la question de l’éloquence, des facultés de l’âme et du lien entre le bonheur et la vertu, et succède à François Astier dans la chaire de philosophie en 1839. Après le coup d’État du 2 décembre 1852, Proudhon est contraint à l’exil tandis que Perron est appelé à de hautes fonctions ministérielles.
Portrait d’Edmond Colsenet (1847-1925) extraite d’une photographie de groupe, prise vers 1887 à la ferme de Belin au Thoult-Trosnay (département de la Marne). Collection particulière.
La chaire de philosophie de Besançon reste vacante sous l’Empire, tandis que plusieurs suppléants et chargés de cours se succèdent. La IIIe République nomme en 1873 un nouveau professeur, Ludovic Carrau (1842-1889), auteur d’une thèse sur Descartes. Puis la chaire est occupée un an (1881-1882) par Léopold Mabilleau (1853-1941), qui a rédigé une thèse sur la philosophie de la Renaissance en Italie et qui consacre sa vie à agir pour la réforme sociale et la création d’institutions de solidarité. Edmond Colsenet (1847-1925) marque la fin du siècle, en occupant la chaire de 1885 à 1919. Dans sa thèse, intitulée Études sur la vie inconsciente de l’esprit, il travaille à une approche philosophique de la psychologie et introduit en France le concept d’inconscient. Il est doyen de la faculté des lettres de 1906 à 1909. Joseph Segond (1872-1954), docteur en 1910 pour une étude sur la psychologie de la prière (avec une thèse complémentaire sur Cournot et le vitalisme), lui succède brièvement en 1920-1921.
Photographie de Jean Wahl (1888-1974). Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC), Archives Jean Wahl, WHL 528.
Jean Wahl (1888-1974) et Louis Rougier (1889-1982) ont tous deux obtenu leur thèse en 1920, le premier sur les Philosophies pluralistes d’Angleterre et d’Amérique, l’autre sur les mathématiques chez Henri Poincaré. Le premier, qui enseigne à Besançon de 1920 à 1929, avant de rejoindre plusieurs autres universités, puis la Sorbonne, introduit en France Hegel et Kierkegaard. Le second, nommé dans la chaire de philosophie de la faculté des lettres de Besançon en 1924, contribue à introduire en France les réflexions du cercle de Vienne et celles de Walter Lippmann. Rougier consacre des travaux à la philosophie antique et médiévale, exaltant l’esprit de la philosophie grecque contre celui du christianisme. La guerre oppose leurs destins : Jean Wahl, destitué de sa chaire par le régime de Vichy et interné à Drancy, parvient à se réfugier aux États-Unis. Louis Rougier, mis en cause pour son soutien au régime de Vichy, perd sa chaire en 1948.