Ferry Carondelet (1473-1528), humaniste de la Renaissance

Nicolas Boffy

Ferry, fils de Jean Ier Carondelet (v. 1428-1502) et de Marguerite de Chassey († 1511), frère de Jean II, naît en 1473 à Malines. Son père, président du parlement, a participé à la fondation de cette institution, puis est devenu chancelier de Bourgogne. Jouissant d’une aura au sein des affaires européennes du XVe siècle, il entreprend de forger une carrière prestigieuse pour ses fils, dont Ferry.

Portrait de Ferry Carondelet (1473-1528) par Sebastiano del Piombo (1485-1547), vers 1510-1512. Ce tableau de Ferry et de son secrétaire a été commandé à l’artiste à l’occasion du séjour du modèle en Italie comme ambassadeur de Margurite d’Autriche auprès du pape Jules II. Ferry tient en main une lettre et en dicte la réponse à l’un de ses secrétaires. La devise du modèle “Nosce opportunitatem“, sache reconnaître le moment opportun, est gravée à l’arrière plan, sous le fronton triangulaire. Pascal Brunet. Madrid, Musée Thyssen-Bornemisza, Inv. no. 369.

Ferry Carondelet devient docteur dans les deux droits, même si on ignore les détails de son parcours académique1. Prêt à suivre les traces de son père et de ses frères, il s’inscrit en droit à l’université de Dole, à l’âge de 25 ans, le 21 septembre 14982. Avant de fréquenter Dole, il a pu étudier un temps à Louvain avec son frère Jean II3. Il poursuit en tout cas ses études de droit aux universités de Pavie, de Bologne (1499 ?), de Ferrare (1501 ?), et obtient la licence à Parme en 1501. Il y prend sans doute aussi son doctorat, comme le veulent les règles universitaires de la fin du Moyen Âge4. Une épigramme5 de Jean De Pins publiée en 1502 signale bien Ferry comme étudiant en droit, mais aussi en grammaire et en éloquence6.

On prête généralement un mariage à Ferry Carondelet, avec une certaine Digne des Baux (ou de Bauw). Le couple aurait eu un enfant, Paul, qui naîtrait peu de temps avant la mort de sa mère, survenue le 18 octobre 15037. En réalité, ce mariage paraît n’être qu’une construction de toute pièce due aux descendants de la famille. En effet, la mort de Guillaume Carondelet (1588-1620) aurait fait s’éteindre leur maison en raison de l’absence d’héritier mâle. Les Carondelet ont donc été dans l’obligation de remonter à Ferry et à son peu glorieux fils naturel, légitimé seulement en 1548, pour qui ils inventent une naissance parfaitement légitime8.

Fort du soutien paternel, comme pour plusieurs de ses frères, Ferry entre comme conseiller ecclésiastique au Grand conseil de Malines en 1508, en remplacement de son frère Jean. Puis Marguerite d’Autriche le nomme « orateur » (c’est-à-dire diplomate) auprès du Saint-Siège en 1510. Ferry part donc pour Bologne, puis Rome, auprès de Jules II. Il paraît s’être enthousiasmé pour l’art de la Renaissance italienne, puisqu’il commande un grand retable pour la cathédrale de Besançon aux peintres florentins Fra Bartolomeo et Mariotto Albertinelli, en plus de son portrait par Sebastiano del Piombo9. Dans le cours de sa riche correspondance avec Marguerite d’Autriche, Ferry signale qu’il a visité la villa d’Agostino Chigi (le banquier du pape), décorée notamment par Raphaël et del Piombo, qu’il décrit comme « la plus belle et riche chose pour autant qu’elle contient [qu’il vit] jamais »10.

Mais, revenu à Malines en 1513, il ne mène pas la prestigieuse carrière promise par son voyage diplomatique outremonts. Au contraire, il paraît renoncer de lui-même aux affaires pour se consacrer vers 1520 à ses charges d’archidiacre11 de Besançon (qu’il occupe depuis 1504) et d’abbé de l’abbaye de Montbenoît (depuis 1515 environ). Le prélat en est un bienfaiteur important : il fait rédiger le terrier de l’abbaye et reconstruire le chœur, deux chapelles et la sacristie dans le style gothique flamboyant. C’est à son abbaye qu’il meurt, en juin 152812.

Ferry Carondelet est également un protecteur d’Érasme, dont il paraît avoir réellement apprécié le travail. Il reçoit l’humaniste lors de son séjour à Besançon en 1524 et partagent un dîner mémorable. Par son goût raffiné pour l’art et les lettres, par son esprit curieux de la Renaissance et de l’humanisme, Ferry reste un homme lié à la Renaissance comtoise qui participe sans aucun doute à la diffusion d’une culture érudite.


Notes :
1 –  Archives générales du Royaume (Bruxelles), Grand Conseil, 812, fol. 205r ; Liber confraternitatis 1875, p. 42. 2 – Bibliothèque municipale de Besançon, ms. 982, fol. 6r (cité par Castan 1874, p. 136, note 1) : Nobilis vir Farricus Carondelet de Maclinia Cameracum diocesis prestitit iuramentum fidelitatis in manibus meis [d’Étienne de Faletans, recteur de l’université] in civitate bisuntine die XXIa septembris anno quo supra [1498]. 3 – De Vocht 1951, p. 458, note 6. 4 –  Nicole Bingen, Aux escholles d’outre-monts…, p. 673-675. 5 –  Une épigramme (du grec epigramma, inscription) est une courte pièce de quatre vers (en général) dont le dernier, appelé la pointe, est destinée à égratigner ou à blesser l’amour-propre de l’adversaire. 6 –  Ad nobilem et generosum virum Ferricum Carondeletum Burgundum iuris et eloquentiae candidatum Ioannis Pinis Tholosani epigrammata (De Pins 2007, p. 55) ; De Vocht 1950, p. 283 ; sur Du Pins, cf. Bietenholz et Deutscher 1985, p. 85-86. 7 –  François Aubert de la Chenaye-Desbois, Dictionnaire de la noblesse, t. 2, Paris, Berger-Levrault, 1980 [1re éd. : 1757-1765], col. 731. 8 –  Pour plus de détails, cf. Nicolas Boffy, La commande artistique…, op. cit., vol. 2, p. 27-28. 9 – Le retable est aujourd’hui divisé en deux : le panneau de Fra Bartolomeo se trouve à la cathédrale Saint-Jean et la lunette d’Albertinelli à la Staatsgalerie de Stuttgart. Le portrait par Sebastiano del Piombo est conservé au Museo Thyssen-Bornemisza de Madrid. 10 – AD59, B 18838, no 28467. À Rome, le 14 novembre 1512. 11 – Titre donné à un vicaire général responsable de l’administration d’une certaine portion du diocèse sous l’autorité de l’évêque. Ce titre n’était plus qu’honorifique au xvie siècle. 12 – Son tombeau porte la date du 27 juin, mais le chapitre cathédral est déjà au courant de son décès le 15 juin (AD25, G 193, fol. 68r). La date du 27 paraît donc plutôt être celle de son inhumation, qui a lieu dans un premier temps à l’abbaye de Montbenoît.
ARTICLES SIMILAIRES :
error: Contenu protégé.