À l’université de Dole comme dans toutes les universités européennes, l’écrit est au cœur de l‘enseignement. Les leçons dispensées ex-cathedra sont des « lectures ». Il est noté dans les Annales rectorales doloises que les distributeurs recrutent parmi les gradués des régents et des « lecteurs ». Le savoir se transmet à l’oral par la référence aux écrits des grands maîtres, et pourtant les mentions du livre et de son usage se font rares dans les archives universitaires qui nous sont parvenues. Il faut pour cela qu’un professeur se fasse remarquer pour son manque de zèle : en 1433, une enquête mentionne certain docteur en lois dont le valet rapportait seul a l’eschole le livre dudit docteur, et lequel n’eust oncques livre de loix.
Ce sont parfois les livres eux-mêmes, conservés dans nos grandes bibliothèques patrimoniales régionales, Besançon, Dijon ou Dole, qui nous livrent quelques indices : le docteur Étienne de Lavangeot professeur de droit civil et canon à l’université de Dole entre 1440 et 1480, chanoine de la collégiale Notre-Dame de Beaune, se procure des livres en les faisant copier, comme l’atteste une Somme de saint Thomas réalisée en 1461 à Beaune, par Jean Jobert (peut-être membre de la famille de Jean Jobert archidiacre de Langres, conseiller du duc de Bourgogne, doyen de la collégiale Notre-Dame de Dole) volume qui fut conservé par la suite dans la bibliothèque des Cordeliers dolois. Maître Etienne de Lavangeot fit également don de Méditations sur la vie du Christ au frère cordelier Pierre Vernet, professeur de théologie. Ses libéralités se poursuivirent lorsqu’en 1488 il légua sa bibliothèque au couvent d’Autun, estimant peut-être la « librairie » des Cordeliers de Dole assez bien pourvue. Constituée en effet dès la fondation du couvent en 1372, par le premier gardien Pierre de Dole – lui-même copiste expérimenté -, progressivement enrichie de dons, d’échanges, d’achats, la bibliothèque des franciscains dolois a pu être utilisée par les étudiants, gradués ou non, de l’université, le principal lieu d’exercice, le réputé « auditoire des lois » étant très proche du couvent. Ils pouvaient y trouver les classiques : Sentences de Pierre Lombard, Postilles sur le Psautier de Nicolas de Lyre… C’est pourquoi, peut-être, ni dans les archives, ni dans les ex-libris des volumes conservés, n’a pu jusqu’ici être trouvée une mention antérieure à 1479 d’une bibliothèque propre à l’université.
Si les maîtres pouvaient commander à grands frais des copies de textes majeurs, les étudiants devaient y pourvoir autrement : combien précieux est l’explicit qui clôt un recueil de textes manuscrits sur papier relatifs à l’astronomie, conservé à la Bibliothèque municipale de Dijon, héritière de celle du Collège des Godrans ! Explicit le centilogez de Phtolomes glosez par Haith astronomien et phisicien escript par moy Pierre Pevidic en l’universite de dole maistre es arts indigne estudient en medicine lan m.cccc lix [1459] incomplet le mercredi 14 jour du moys de feuvrier. Deo gratias. L’indigne étudiant Pierre Pevidic ne s’est pas contenté du commentaire de Ptolémée mais a copié aussi cinq autres traités sur les astres, les étoiles, les signes du zodiaque, sans omettre de soigner ses études de médecine en se procurant de la même façon Le livre des urines de Guillaume L’Anglais…
Mais l’imprimé fait bientôt son entrée à l’université. Demeurons en la faculté de médecine avec Jean Heberling, formé à l’université de Bâle où il a été inscrit comme étudiant en 1475, et où il a obtenu tous ses grades. Après son arrivée à Dole en octobre 1492, il entretient une correspondance suivie avec l’imprimeur bâlois Jean Amerbach. Il participe alors d’une certaine façon aux enseignements de l’université de Dole. Lorsqu’il veut mettre à la disposition des étudiants son cours sur la peste, vers 1499, il le fait imprimer à Lyon, en lui donnant un titre évocateur Lectio declarativa super epidemiae morbo. Cette « leçon » ne remplit que 9 feuillets, avec des initiales gravées sur bois et une dédicace au lieutenant du bailli de Dole datée de 1492. L’auteur y rappelle ses titres : Jean Heberling originaire de Gemünd docteur en arts et en médecine, médecin ordinaire de l’université de Dole. Le docteur Heberling sera reçu officiellement lecteur de médecine avec beaucoup d’égards le 3 février 1502 par le recteur Antoine de Beaumotte et son collège universitaire. Les exemplaires devenus rares de son fascicule imprimé sont conservés seulement dans les bibliothèques de Nancy, Charleville-Mézières, Venise, Londres, et Bethesda aux États-Unis.
Si la documentation concernant l’université de Dole au XVe siècle reste muette quant à l’existence de libraires stationnaires, c’est dans les Annales des recteurs de la période 1498-1525 que nous avons découvert les traces sinon d’une bibliothèque, du moins de la circulation du livre au sein de l’institution.
Certains recteurs recrutent des « libraires » qui prêtent serment comme les autres officiers ou suppôts : Etienne Faivre de Morteau le 27 mars 1500, Jean Daniot de Dijon, le 15 mars 1501, Geoffroy de Her le 26 avril 1519, Jean Gabriel le 1er janvier 1522 qui succède comme librarius ordinaris à un probable parent Simon Gabriel surnommé « père Jacques » (sans doute Dolois tous deux). Benoît Daoust de Lyon qui prête serment le 26 mai 1521 est qualifié de libraire extraordinaire.
Un cas à part : le 23 mars 1524, le recteur Perret reçoit le serment de Dominique de Portunaires, qui appartient à une famille renommée d’imprimeurs lyonnais originaires d’Italie. Il est identifié comme bibliopola, marchand libraire donc, mais prête-t-il serment comme étudiant ou ès-qualité ?
À quelle fonction ces « libraires » sont-ils réellement assignés ? Peut-on les considérer comme des bibliothécaires ? Le recteur Pierre Trohet donne à Étienne Faivre une consigne explicite : il doit fournir à l’université des livres convenables, surtout en droit canonique, et autant que possible ceux qui manquent en théologie et en arts (ce dernier terme signifiant traités de grammaire et de philosophie). Le terme librarius demeure ambigu. Un seul des noms cités est librarius in universitate, évoquant une activité interne. Il est donc possible que ces libraires pratiquent une activité d’achat pour l’université mais aussi de vente ou de revente.
Jean Daniot est probablement apparenté aux Danoux, marchands de livres et éditeurs dijonnais qui apportent leur production aux halles de Dole dans les années 1530-1560 et installent l’un des leurs, Mongeot Danoux, comme libraire à Dole en 1538. La boutique est ensuite tenue par sa veuve Perrotte Roy. Geoffroy de Her(t) fait aussi commerce de livres en 1537 à Dole. Et le titre de libraire-juré de l’université apparaitra avec l’adresse à la page de titre d’ouvrages de droit. C’est le cas des recueils d’ordonnances que fait imprimer en 1540 à Lyon Pierre Brachot « libraire-juré de l’université ». Ce dernier n’est pas un inconnu : originaire de Fuans, près de Morteau, il a été inscrit comme étudiant le 24 mars 1513 par le recteur Josse Sasbout. L’Université de Dole en son premier siècle forme donc non seulement des cadres pour l’administration, des théologiens pour l’Eglise, des médecins pour le soin, mais aussi des gens du livre !
Pour assurer au final la présence du livre dans l’université doloise, il a fallu la détermination et la culture d’une personnalité exceptionnelle. Le professeur Dom Antoine de Roche (1420- 1505), docteur en droit canon, grand prieur de Cluny, de La Charité-sur-Loire et de Saint-Pierre de Morteau, est un bibliophile faisant travailler des enlumineurs de talent, un amateur d’ouvrages rares, manuscrits, incunables, collectés lors de ses voyages. Il a obtenu l’autorisation de mettre ses livres à l’abri avant le saccage de Dole par les armées de Louis XI. Il les lègue à sa fondation, le Collège Saint-Jérôme, destiné à héberger douze novices boursiers de l’ordre bénédictin inscrits à l’université. Aux côtés des manuels de droit canon et des traités de saint Augustin, les auteurs de l’antiquité, Sénèque, Virgile, Valère-Maxime, Aulu-Gelle… en font une bibliothèque ouverte à l’humanisme. Ce testament permet à ses successeurs, Jean de La Madeleine, Christophe Coquille, Philibert Poissenot, de créer et de développer une véritable bibliothèque publique, accessible aux habitants lettrés et pas seulement aux membres de l’université. Elle perdurera jusqu’au départ de l’Université pour Besançon.