La bibliothèque universitaire Santé de l’université de Franche-Comté possède un magnifique exemplaire du chef-d’œuvre anatomique d’André Vésale (1514-1564), De Humani Corporis Fabrica libri septem, dans son édition de 1555. L’ouvrage de Vésale, dont la première édition date de 1543, est une véritable révolution dans la connaissance de l’anatomie du corps humain et dans l’illustration médicale. Vésale remet en cause les dogmes, très prégnants à cette période, du grand médecin de l’Antiquité Galien (v. 129-v. 210), qui n’a disséqué que des animaux. Vésale réintroduit intensivement la dissection humaine, mise en sommeil depuis près d’un millénaire, comme source unique de la connaissance anatomique1.
André Vésale (Andreas Vesalius), de son vrai nom Andries Wytinck van Wesel, naît à Bruxelles en 1514. Il étudie la médecine dans les facultés de Louvain et de Paris et devient à 23 ans professeur d’anatomie et de chirurgie à l’université de Padoue. Pour son enseignement, Vésale comprend que le dessin anatomique plaît beaucoup aux étudiants et il utilise pleinement cette nouvelle forme de preuve par l’image. En 1538, il publie six planches anatomiques destinées à ses étudiants (Tabulæ anatomicæ sex). Ces planches sont encore pleinement imprégnées par les travaux de Galien, que lui ont enseignés ses maîtres parisiens, et dont certains ouvrages viennent d’être redécouverts et traduits en latin. La pratique de la dissection sur les corps de condamnés conduit Vésale à reconsidérer les nombreuses affirmations influentes, mais fausses, de Galien. C’est ainsi qu’il publie en 1543 la Fabrica et son résumé l’Epitome destiné aux étudiants. Il effectue cette remise en cause en douceur. Vésale qualifie Galien de « prince de l’anatomie » dans l’introduction de l’ouvrage et fait apparaître les animaux fétiches de dissection de Galien dans le frontispice. Néanmoins, ce tournant majeur dans la connaissance anatomique lui attire les foudres de bon nombre de défenseurs du dogme galénique.
Comme la première édition de 1543, l’édition de 1555 a été publiée à Bâle chez l’éditeur Johan Herbst, dit Oporinus (1507-1568). Il s’agit d’un ouvrage in-folio2, d’un format plus grand que l’édition de 1543, dédicacé à Charles Quint (1500-1558), empereur du Saint-Empire romain germanique et comte de Bourgogne. Le volume comporte près de 230 figures obtenues par gravure sur bois. La présentation artistique des dissections anatomiques a contribué au succès de l’ouvrage (figure 1). Les riches illustrations sont attribuées à Vésale lui-même et, pour certaines, au peintre Jan Stephan van Calcar (1499-1550), un élève du Titien (v. 1488-1576). Le nom du graveur sur bois n’est pas connu. Cette deuxième édition présente des modifications dans le texte et dans les illustrations, dues principalement à l’évolution des connaissances. Sa gravure est de moins bonne qualité que celle de l’édition de 1543, mais elle a servi de modèle à toutes les éditions ultérieures de l’ouvrage. L’exemplaire présent à la bibliothèque universitaire Santé a pu bénéficier d’une restauration à la fin du XXe siècle.
Le célèbre frontispice3 du livre fait apparaître nombre de médecins et d’artistes connus de l’époque, ainsi que les hommes de la Réforme, comme Martin Luther (1483-1646) (figure 2 ). Il a également été modifié en de nombreux points par rapport à l’édition de 1543. Le visage de Vésale y apparaît, par exemple, désormais très ressemblant au portrait accompagnant l’ouvrage (figure 3).
La carrière académique de Vésale est courte, de 1537 à 1543. À cette date, il devient le médecin de l’empereur Charles Quint, puis de son fils Philippe II (1527-1598). Vésale meurt en 1564, à l’âge de 50 ans, sur l’île grecque de Zante, de retour d’un pèlerinage à Jérusalem. Une troisième édition, corrigée et augmentée, de la Fabrica a, semble-t-il, été envisagée, mais ne voit pas le jour4. La Fabrica est, dès les premiers mois suivant sa publication, largement reprise et plagiée par d’autres anatomistes. Les remarquables illustrations de Vésale alimentent de très nombreux traités anatomiques ultérieurs.