La création d’un campus universitaire à la Bouloie

Maryse Graner

Notice rédigée d’après « Campus universitaire à la Bouloie à Besançon, étude architecturale et patrimoniale », septembre 2019, commandée et financée en totalité par la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) de Bourgogne-Franche-Comté, dont le suivi a été assuré par Béatrice Renahy, conseillère architecture, puis par Stéphane Aubertin, conseiller architecture et patrimoines ; cette étude a été conduite conjointement par Fabien Drubigny et Stéphanie Honnert, tous deux architectes du patrimoine.

Plan du bâtiment de métrologie de la faculté des sciences de la Bouloie, conçu par Georges Jouven, mars 1961. Bibliothèque municipale de Besançon, Ph12385. Bernard Faille.

Au lendemain de la guerre, l’enseignement supérieur est essentiellement constitué d’universités ou de facultés aux dimensions modestes et bien incorporées au tissu urbain des centres de ville. Entre 1952 et 1956, l’évolution des besoins suit le baby-boom, qui a vu les effectifs scolaires s’accroître de près de 1 412 000 enfants1 : il faut anticiper leur accueil en aval dans l’enseignement supérieur, où chaque année un plus grand pourcentage d’une classe d’âge, en particulier les filles, fait son entrée. Cet accroissement considérable des besoins, lié à l’évolution des enseignements et à l’importance prise par la recherche, conduit à un changement d’échelle. Dans cet objectif, dès les années 1950, l’État engage une trentaine d’opérations sur l’ensemble du territoire français.

Face à la pression foncière accentuée par la crise endémique du logement et aux difficultés rencontrées pour les expropriations, le départ en périphérie des constructions nouvelles pour les facultés répond à la nécessité de trouver des dizaines ou parfois des centaines d’hectares indispensables aux nouvelles implantations. Les surfaces dégagées en périphérie sur des terrains agricoles sont importantes et sans commune mesure avec les terrains morcelés des centres de ville.

En 1956, les autorités universitaires de Besançon décident de créer un nouveau centre universitaire scientifique, hors de la « boucle » du Doubs2. Un terrain de 47 hectares avec possibilité d’extension, le domaine de la Bouloie, est acquis à cet effet au sud-ouest de la ville, à 3,5 km du centre. Il forme une couronne entourant une colline dont le sommet est occupé par l’observatoire, entouré de bâtiments voisins dont la hauteur est donc limitée pour permettre les observations astronomiques.

Le ministère de l’Éducation nationale est alors le premier maître d’ouvrage en France après le ministère de la Reconstruction et de l’urbanisme3. Ils partagent la même obsession de l’économie et se rejoignent dans une démarche rationaliste. L’État planificateur, dans un processus de normalisation et d’industrialisation, vise à abaisser les coûts de production. Dès 1950, le ministère impose l’usage de la trame étroite de 1,75 m, de la maternelle à l’université. Ainsi, de 1963 à 1976, le plan d’aménagement du nouveau campus à la Bouloie est confié à Georges Jouven (1911-1986), architecte du ministère de l’Éducation, et architecte en chef de Monuments historiques du Doubs. Il le conçoit en 1963, assisté des deux architectes Paul Phelouzat (né en 1931) et René Tournier (1899-1977). Leurs bâtiments, à Besançon, ont en commun le recours systématique à la travée rythmique. Celle-ci est l’expression du rationalisme architectural qui, à quelques exceptions près, définit l’ensemble des bâtiments universitaires de l’époque : ceux de la faculté des sciences de Besançon sont à ce titre exemplaires.

Construction du bâtiment de métrologie, 1963. Bibliothèque municipale de Besançon, Ph 20144. Bernard Faille.

En raison de la trame viaire mais aussi du relief, le campus se développe autour du point culminant, dominé par l’Observatoire et son parc, en deux parties autour du parc. De part et d’autre de l’avenue de l’Observatoire, il est délimité par la route de Gray et la rue de l’Épitaphe, formant une ceinture de voies urbaines entourant la colline. Le réseau structurant le site et le relief constituent un campus à la fois clos par des limites urbaines et ouvert sur le reste de la ville grâce à sa position dominante sur les alentours. Ce schéma directeur des constructions universitaires de la Bouloie affirme le nouveau campus comme une entité constituée de deux parties, deux « lobes » qui créent une réelle dichotomie par leur usage et leur fonctionnement réciproque. L’héliotropisme est retenu comme principe d’implantation : les bâtiments de la Bouloie sont tous implantés suivant une parfaite orientation Nord/Sud et Est/Ouest.

Le bâtiment de métrologie de la faculté des sciences de Besançon, novembre 1968. Bibliothèque municipale de Besançon, Ph 34344. Bernard Faille.

Sur le versant sud de la colline viennent s’implanter les unités d’enseignement, conçues en 1963 et mises en service en 1964, disposées autour d’un vaste espace libre, exposé au Sud et jouissant d’une vue privilégiée sur la nouvelle ville et la campagne. Ils comprennent les bâtiments de propédeutique et de métrologie et la bibliothèque scientifique.

Les bâtiments de propédeutique et de métrologie, conçus par G. Jouven et P. Phelouzat, ont pour architectes opérationnels M. Papet, M. André Boucton (1891-1977) et M. Périllat. Le revêtement des façades monumentales, à l’architecture soignée, en pierres incorporées à la préfabrication, assure l’unité d’aspect des bâtiments principaux. La demande sociale des élus, du recteur d’académie et des enseignants a, en effet, pressé les maîtres d’œuvre pour une utilisation d’une pierre noble sur des bâtiments. Le bâtiment propédeutique abrite les services de mathématiques, de mécanique, de physique générale, de métrologie et de chronométrie. Un amphithéâtre de 320 places, composé sur plan pentagonal, complète cet ensemble. Grand volume central, le hall constitue un lieu de rencontres, une salle de réunion, éventuellement une salle d’examens, sur laquelle s’ouvrent le foyer et les salles de travail. À l’étage, s’installent les laboratoires de recherches. Pour les expériences d’optique, et particulièrement l’étude des faisceaux et des lasers, un laboratoire spécial isobare/isotherme est adjoint à ce bâtiment. Partiellement enterré, il permet, dans une atmosphère de pression et de température constantes (l/l00e de degré), l’étude des faisceaux de 40 mètres. Mise en scène par Georges Jouven et Paul Phelouzat, la façade sud du bâtiment métrologie qui longe la route de Gray, au dessin radical et couplé au grand escalier extérieur voisin qui dessert les autres bâtiments, souligne la solennité du lieu. Ce dernier est implanté de manière à distribuer l’ensemble des édifices dans une mise en scène monumentale. Son accroche le présente comme la porte d’entrée sud du campus. Il se termine sur la ligne de crête à l’entrée de la bibliothèque des sciences, conçue et construite les mêmes années 1963 et 1964 par René Tournier.

Les cités universitaires au milieu de champs, juillet 1965. Bibliothèque municipale de Besançon, Ph 24766. Bernard Faille.

Au Nord, dès 1963, les logements, d’une capacité d’accueil de 1 300 étudiants, sont des bâtiments plus standards et répondent à une logique quantitative. Un vaste espace central sépare les résidences filles des résidences garçons. Toutes les résidences sont orientées dans un axe Nord Sud et offrent des façades ouvertes Est et Ouest. À côté, s’inscrivent les installations sportives extérieures (cours de tennis, piste d’athlétisme, terrain de rugby, de foot, de volley…). Un amphithéâtre en plein air est également prévu à l’endroit où le relief est le plus accidenté et pentu, mais il ne sera jamais réalisé. L’ensemble est complété par la construction du gymnase de la Bouloie, conçu par Georges Jouven en 1967.

La construction du restaurant universitaire, au centre du campus de la Bouloie, octobre 1964. Bibliothèque municipale de Besançon, Ph 22410. Bernard Faille.

Au centre du territoire de la Bouloie, le restaurant universitaire peut accueillir 1 000 couverts. Lieu de vie, il connecte l’ensemble du campus dans une nouvelle centralité urbaine autonome, elle-même reliée directement au centre-ville, via l’avenue de l’Observatoire.

Véritable jalon urbain et économique de la ville, le campus de la Bouloie ne cesse de s’étendre par la suite, provoquant, malgré la qualité architecturale des bâtiments à venir, par son développement ultérieur discontinu, une perte de lisibilité du remarquable plan d’origine conçu par Georges Jouven.

Notes :
1 – Gilles Ragot, « Le domaine universitaire de Bordeaux 1930-1967, L’invention d’un urbanisme et d’une architecture au service d’un enseignement universitaire de masse », in Les campus universitaires 1945-1975 : architecture et urbanisme, histoire et sociologie, état des lieux et perspectives (Catherine Compain-Gajac dir.), Perpignan, Presses universitaires de Perpignan (« Histoire de l’art 7 »), 2014, p. 117. 2 – « Faculté des sciences de Besançon », L’architecture française, juillet-août 1965, no 275-276, p. 10. 3 – Ragot, « Le domaine universitaire de Bordeaux… », art. cité. Bibliographie
  • Catherine Compain-Gajac (dir.), Les campus universitaires 1945-1975 : architecture et urbanisme, histoire et sociologie, état des lieux et perspectives, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan (« Histoire de l’art 7 »), 2014.
  • « Faculté des sciences de Besançon », L’architecture française, juillet-août 1965, no 275-276.
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