Dès l’acquisition, en 1810, de l’ancien monastère des bénédictins pour y installer les facultés, le recteur Jean Jacques Ordinaire se préoccupe de la place des livres dans le nouvel établissement. Il est alors question de recueillir un don d’ouvrages précieux de la part de Nicolas Antoine Labbey de Billy (1753-1825), bibliophile, professeur d’histoire et historiographe de l’université.
Denis-Philibert Lapret (1761-1821), “Plan de l’étage d’une partie des batiments de l’académie de Besançon pour servir à l’établissement du cabinet d’histoire naturelle , de Physique et d’un musée”, 1er avril 1818. Ce plan présente le projet, hélas non abouti, d’installer la bibliothèque de N. A. Labbey de Billy dans deux pièces de l’Académie (dont une antichambre), au même niveau que les collections d’histoire naturelle. Archives municipales de Besançon, 4M83.
Ses livres y sont conservés pendant quelques années, comme le mentionne l’architecte municipal, Denis Philibert Lapret (1761-1821), à l’occasion de divers aménagements alors en cours1. Il indique, en juillet 1816, que « la Bibliothèque de M. de Billy et la chambre [située] à côté servira [sic] au conseil académique et [aux] archives », tandis que « l’ancienne Bibliothèque à l’étage servira à placer les instruments de physique ». En août 1817, il précise qu’à l’étage, « sur le jardin, est un local composé d’une grande pièce et d’une plus petite à côté, et qui est occupée par la Bibliothèque de M. de Billy», ce qu’indique son plan établi le 1er avril 18182. Hélas, comme en témoigne le bibliothécaire municipal Charles Weiss (1779-1866) dans son Journal à la date du 21 mai 1825, jour du décès de Labbey de Billy, l’érudit professeur a ensuite changé d’avis et a repris ses livres (ou peut-être seulement une partie d’entre eux, les plus précieux) : « C’était un très brave homme, mais manquant de franchise. Il avait promis sa bibliothèque à l’académie et ensuite à la ville ; et par un testament fait depuis plus de deux ans, il l’a partagé entre ses neveux ». Anciens et précieux, ces ouvrages sont ensuite vendus aux enchères par la sœur du défunt, en mars 1826.
Gilles-Louis Chrétien (1754-1811), portrait au physionotrace de Nicolas Antoine Labbey de Billy (1753-1825), réalisé en 1810. Nicolas Antoine Labbey de Billy descend d’une famille comtoise ancienne de Haute-Saône. Il suit tout d’abord des études de théologie qu’il abandonne pour le droit ; il est reçu avocat, mais ne s’établit pas et reprend des études de théologie au séminaire de Saint-Sulpice à Paris ; il est ordonné à Besançon en 1782 et nommé chanoine métropolitain. Prêtre réfractaire lors de la Révolution, il émigre en 1793. Il se rend en Suisse, en Allemagne, puis en Italie. Lorsqu’il rentre en France au début du XIXe siècle, il rapporte avec lui une collection de manuscrits et de livres anciens. Il possédait notamment le manuscrit 982 de la Bibliothèque municipale de Besançon, l’un des registres matricules de l’université de Dole. De 1809 à 1817, il est professeur d’histoire à l’université de Besançon. Il publie, en 1814, la première Histoire de l’université du comté de Bourgogne. Bibliothèque municipale de Besançon, EST.FC.2055-LabbeyBilly.
La faculté des lettres possède néanmoins une bibliothèque dont le catalogue est réclamé par le recteur en juillet 18373. Le professeur Jean-Baptiste Pérennès (1800-1873), secrétaire de la faculté, lui répond qu’il a confié cette tâche à son collègue Jean Ignace Joseph Bourgon (1796-1841) « qui est spécialement chargé du soin des livres appartenant à la faculté », et précise qu’il « n’existait pas, jusqu’à présent, de catalogue de cette bibliothèque, et le désordre dans lequel elle se trouvait depuis la donation de Mr de Billy est tel qu’il faudra un temps assez long, non seulement pour classer les ouvrages qui la composent, d’après les matières, mais encore pour retrouver et réunir les volumes d’un même ouvrage ».
En août 1841, au sujet de la constitution d’une bibliothèque scientifique dans le cadre des négociations visant à recréer une faculté des sciences à Besançon, le conseil municipal déclare que « les deux facultés trouveront d’amples ressources d’instruction dans la Bibliothèque de la Ville ». Le 21 septembre 1842, dans une note destinée au ministre de l’Instruction publique4, il est indiqué que la conservation et l’entretien d’un « vaste corps de bibliothèque à l’usage des facultés des lettres et des sciences » seraient confiés au conservateur des collections scientifiques. Le 7 février 1843, sur l’invitation du ministre A. F. Villemain (1790-1870), une somme de 4 000 francs est votée par le conseil municipal « pour former la bibliothèque spéciale de la faculté des sciences dans le cas où l’on ne pourrait pas distraire de celle de la Ville les ouvrages qui doivent composer celle de la faculté ».
Le 4 janvier 1844, Alphonse Delacroix, architecte municipal, signe un « Projet de constructions et d’appropriations pour établir une faculté des sciences […], plan des salles à approprier pour […] la Bibliothèque, à l’étage de l’ancien batiment […] au dessus des salles de la faculté des lettres ». Ce plan permet de découvrir que cette bibliothèque comprend deux pièces, une salle de lecture chauffée par un poêle, et une « salle de la Bibliothèque », avec ses « rayons » et ses « petits cabinets ». Ces pièces5 sont disposées à l’étage, sur la rue Saint-Vincent, à l’est de l’ancien cloître du monastère. Le 16 décembre 1844, la commission chargée de présider à l’établissement de la faculté des sciences décide que le budget de 4 000 francs voté par le conseil municipal sera consacré « à l’acquisition des principaux recueils scientifiques ». Ses membres rappellent que « c’est en effet dans les collections de ce genre que se trouvent toujours les documents à consulter pour le professeur. C’est aussi par leur moyen qu’il se tient au courant des progrès de la Science que l’enseignement des facultés doit contribuer à répandre ».
Alphonse Delacroix (1807-1878), “Projet de constructions et d’appropriations pour établir une Faculté des sciences dans les batimens de l’Académie de Besançon”, 4 janvier 1844. Archives municipales de Besançon, 4M4.
A. Delacroix, détail du plan et des rayonnages de la Bibliothèque de la faculté des sciences. Archives municipales de Besançon, 4M4.
En mars 1846, les travaux d’appropriation de la faculté des lettres confiés à A. Delacroix comprennent une bibliothèque installée au rez-de-chaussée de l’ancien cloître, à l’emplacement vraisemblable de l’ancienne bibliothèque publique de l’abbé Boisot sous l’Ancien Régime. Le descriptif du projet permet de comprendre qu’auparavant, les livres de la faculté des lettres étaient provisoirement déposés à la demande du doyen, dans une chambre à l’étage, « près du cabinet de travail du professeur de géologie », « attendu que les livres dépérissaient dans le réduit humide où l’on avait été obligé de les entasser ». Les travaux d’aménagement sont confiés au menuisier Alphonse Giroud pour un coût de 6 630 francs et achevés en 1847.
A. Delacroix, détail du plan de la Bibliothèque de la faculté des lettres. Ce plan est un détail du “Projet d’une nouvelle appropriation des batimens de la Faculté des Lettres”, avril 1846. Archives municipales de Besançon, 4M2.
En octobre 1864, dans un rapport, le recteur indique, au sujet de la bibliothèque de la faculté des lettres que « la modicité du crédit ordinaire alloué pour acquisition de livres ne permet de combler que bien lentement les lacunes que présente cette collection littéraire. La faculté aurait besoin de 333 francs pour l’achat du Cicéron d’Orelli et de l’Histoire littéraire de la France publiée par l’Académie des inscriptions et de 180 francs pour la reliure de divers ouvrages ». Au sujet de celle de l’école préparatoire de médecine et de pharmacie, il indique que « le crédit annuel de 500 francs accordé par la ville pour augmenter, à la fois les collections scientifiques et la bibliothèque, est insuffisant. Il serait nécessaire que ce crédit fut porté, pendant au moins cinq ans, à une somme de mille francs ».
Le 25 juillet 1865, Gervais Adrien Blavette, professeur de mathématiques pures et doyen de la faculté des sciences, de 1859 à 1868, fait parvenir au recteur une note alarmante sur la vétusté des locaux6 : « Plusieurs parties de l’établissement sont dégradées et la Ville n’y fait aucune réparation, il faudrait des volets aux lucarnes des greniers pour préserver le Musée et la Bibliothèque dans le cas des grandes pluies ou de la fonte des neiges, il faudrait remplacer les fenêtres de la bibliothèque qui tombent de vétusté et il faudrait agrandir et mettre à l’abri de la pluie le laboratoire d’histoire naturelle où il se fait des dissections qui portent l’infection dans l’établissement ». Ces fenêtres sont toujours déclarées « hors de service » en septembre 1866.
Quatre rapports, rédigés en 1874, permettent un état des lieux de la situation des bibliothèques des deux facultés au début de la IIIe République. En avril, un « état de la bibliothèque de la faculté des sciences » rédigé à destination du ministère de l’Instruction publique7, indique que celle-ci « ne peut être ouverte aux élèves puisqu’il n’y a pas de bibliothécaire ». Il est précisé que la collection comprend 1 466 livres brochés et 2 429 livres reliés, « presque tous en bon état » et que, « sur les 2 599,70 francs de frais de cours et laboratoires, 400 francs sont consacrés aux abonnements et aux reliures ». Le 5 juin, l’architecte municipal A. Delacroix préconise la réunion des deux bibliothèques au premier étage, par l’annexion de « la partie qui sert d’entrée aux professeurs d’histoire naturelle » et pour un coût de 5 000 francs. Le 14 juin8, s’adressant au ministre Arthur de Cumont (1818-1902), le recteur reprend également cette idée d’union des deux bibliothèques mais désire l’installer dans l’ancien logement de la faculté des sciences. Il indique que les deux bibliothèques, « tout à fait étrangères l’une à l’autre, sont sous le contrôle insignifiant, non effectif de chaque doyen : les professeurs d’une faculté et de l’autre seuls les fréquentent à leurs heures, et y empruntent des livres sous leur responsabilité, en prenant la clef chez le concierge ». Le projet permettrait également « d’organiser des heures de lecture pour les étudiants ».
Enfin, le 24 août, un second rapport du recteur au ministre9 donne de nombreuses précisions sur l’état et le fonctionnement des deux bibliothèques.
La bibliothèque de la faculté des lettres ne possède « ni bibliothécaire, ni garçon de salle ». La salle de lecture sert de salle d’attente aux professeurs avant leurs cours. Le nombre des volumes « dépasse 3 000 sans atteindre 3 200 ». Ces volumes se décomposent ainsi : 236 titres d’histoire et géographie, 153 de philosophie, 436 de lettres auxquels s’ajoutent environ 400 thèses. La faculté n’est abonnée qu’à trois revues françaises : la Revue politique et littérature, la Revue critique, la Revue de l’Instruction publique. L’inventaire, tenu par le secrétaire des facultés, énumère non seulement les livres, mais aussi les objets de mobilier, tous inscrits au fur et à mesure de l’acquisition. Il n’existe pas de catalogue. Les professeurs s’étaient chargés d’en préparer un qui n’est pas terminé. Le registre de prêt est tenu par les professeurs, qui inscrivent eux-mêmes. Il est précisé que « dans l’état actuel des choses, il ne peut pas y avoir de séances de lecture », mais que les professeurs « prêtent aux élèves de la faculté les livres qui peuvent être utiles ».
La bibliothèque de la faculté des sciences est « très bien située, au 1er étage, entre la salle de cours du professeur d’histoire naturelle et le musée ». Elle se compose d’une seule pièce de 12,30 m sur 4 m (49,2 m2), et elle est éclairée sur toute sa longueur par des fenêtres existant d’un seul côté. Les livres occupent les trois autres faces, et l’espace qui sépare les fenêtres est également garni de rayons et de livres. Cette bibliothèque, qualifiée de récente, car fondée en 1845, « n’est pas riche et cependant le local est déjà insuffisant ». Le nombre total des volumes est d’environ 2 000 : 250 titres de mathématiques, 175 de zoologie, 170 de botanique, 140 de chimie, 120 de géologie, 100 de physique, 90 de paléontologie, 75 d’astronomie, 62 de minéralogie, 60 de mécanique, auxquels s’ajoutent 263 « ouvrages divers », non compris les journaux scientifiques auxquels la faculté s’abonne chaque année et qui, la plupart sont reliés en volumes. Il n’y a ni bibliothécaire ni garçon de salle, « la bibliothèque ne sert qu’aux professeurs qui, lorsqu’ils emportent un livre, l’inscrivent sur un carnet placé sur l’un des comptoirs et effacent l’inscription lorsqu’ils le rapportent. Même facilité est accordée aux préparateurs ». Ces dispositions ne permettent pas aux étudiants de fréquenter la bibliothèque.
Le 8 mars 1876, dans une lettre à William Waddington (1826-1879), ministre de l’enseignement supérieur, le recteur Jules Antoine Lissajous (1822-1880) fait le point sur la question de la réunion des deux bibliothèques ainsi que sur la création d’une salle de lecture. Il indique l’impossibilité d’utiliser dans ce but l’ancien logement du doyen des sciences qui est trop exigu mais préconise la construction d’un escalier permettant de relier verticalement les deux bibliothèques et l’annexion d’une salle contigüe à la bibliothèque de sciences pour la transformer en salle de lecture. Il réclame des ressources nécessaires pour « payer un bibliothécaire et organiser la surveillance de la bibliothèque pendant les séances » ainsi qu’un crédit spécial pour le chauffage de cette salle de lecture et des bibliothèques ainsi que pour leur éclairage à la nuit tombée. Le 31 mai 1876, l’architecte chargé de l’inspection des bâtiments affecté aux établissement d’enseignement supérieur remet à son tour son rapport. Il préconise, quant à lui, le déménagement de l’amphithéâtre de géologie et d’histoire naturelle dans la salle d’examen du rez-de-chaussée, elle-même s’installant dans l’ancienne bibliothèque de lettres car celle-ci serait installée à la place de l’amphithéâtre. « La bibliothèque académique serait ainsi composée de deux grandes pièces en communication directe avec une salle de lecture commune et ayant une entrée particulière par le grand escalier ».