Jeanne Thérèse Waltz naît à Gray en 1895. Elle obtient son baccalauréat avec mentions latin, langues vivantes et philosophie en 1916 à Paris, puis une licence d’histoire-géographie et un diplôme de bibliothécaire en 19341. Elle épouse Albert Spaier, né en Roumanie en 1883, étudiant à la Sorbonne, combattant volontaire pour la France pendant la Première Guerre mondiale, et naturalisé peu après le conflit. Agrégé de philosophie, puis maître de conférences de philosophie à l’université de Caen de 1927 à 1934, Albert Spaier contribue à la fondation des Recherches philosophiques, en éditant sa section de philosophie des sciences section jusqu’à sa mort prématurée en 1934.
Carte d’identité de Jeanne Spaier en 1943. Collection particulière.
Veuve, Jeanne Spaier occupe son premier poste de bibliothécaire le 30 mai 1936 : la bibliothèque universitaire de Besançon, où elle seconde le conservateur Maurice Piquard. Dès son arrivée, son « plus grand zèle et son activité éclairée2 » sont remarqués.
Pendant l’année universitaire 1939-1940, en l’absence de M. Piquard mobilisé, elle a la lourde tâche de diriger la bibliothèque universitaire. En octobre 1940, M. Déléan, l’unique « garçon de bibliothèque », âgé et malade, est mis en congé, puis part en retraite sans être remplacé. Le conseil de l’université alloue un crédit pour permettre à deux étudiants de la seconder3. Par la suite, Georges Gazier (1875-1951), à la retraite depuis 1937, reprend du service jusqu’au retour de M. Piquard. Le 26 mars 1941, un arrêté nomme Georges de Loye bibliothécaire adjoint « en remplacement de Mme Spaier, suspendue de ses fonctions par application de l’article 7 de la loi du 3 octobre 19404», l’infâme décret-loi antisémite du régime de Vichy qui exclut les Juifs d’un certain nombre de professions et constitue le premier acte de leur spoliation. Dès lors, Jeanne rejoint Lyon pour la rentrée scolaire de ses enfants, André (1922-2009) et Anne-Hélène, née en 1925. Tout en accomplissant avec courage et opiniâtreté de difficiles démarches pour être réintégrée dans son statut et son poste de bibliothécaire, elle trouve, dans un premier temps, un travail de libraire rue Victor Hugo. Le 14 avril 1942, Xavier Vallat, commissaire général aux questions juives, relève « Mme Spaier des interdictions édictées par l’article 3 de la loi du 2 juin 1941 » et la maintient « dans ses fonctions de bibliothécaire d’université ». Cette décision s’appuie sur l’histoire des ancêtres de Jeanne (son grand-père était chevalier de la Légion d’honneur), ainsi que sur la bravoure et la carrière universitaire de son mari, blessé et cité à deux reprises pendant la Première Guerre mondiale, chevalier de la Légion d’honneur à titre militaire. Jeanne Spaier est informée de cette décision le 5 juin 1942 par un courrier du directeur de l’enseignement supérieur, qui lui indique que « le poste [qu’elle occupait] précédemment à la Bibliothèque universitaire de Besançon ayant été pourvu, [elle sera] ultérieurement avisée de [sa] nouvelle affectation ». Le 1er octobre 1942, elle retrouve un poste de bibliothécaire à l’université de Lyon et le garde jusqu’en janvier 1955, date de sa prise de poste à la bibliothèque universitaire de Paris. Jeanne est affectée à la bibliothèque de documentation internationale contemporaine, de février 1955 jusqu’à son départ en retraite, le 15 septembre 1960, après une carrière méritante et exemplaire.