Le réseau des universités européennes au début du xve siècle
Lorsque l’université de Dole est créée en 1422 par une bulle du pape Martin V, il existe déjà trente-sept universités actives dans l’ensemble de l’Occident latin. Huit autres sont encore fondées avant 1450 et vingt-et-une entre 1451 et 1500. Même si ces chiffres peuvent être discutés dans le détail, ils montrent clairement que la fondation de l’université de Dole s’inscrit en plein dans un processus historique qui s’étend sur plusieurs siècles. Cependant, en 1422, l’université – le studium generale comme on disait alors – est déjà une institution reconnue et bien définie, tant dans ses fondements juridiques que dans la perception qu’en ont ses contemporains.
Les plus anciennes universités – Paris, Bologne, Oxford, Cambridge, Montpellier, Padoue, Salamanque ou Toulouse – remontent aux premières décennies du XIIIe siècle. Elles demeurent les plus prestigieuses et les plus importantes en nombre d’étudiants. Mais les nouvelles fondations ne cessent pas par la suite, elles s’accélèrent même après le milieu du XIVe siècle, et surtout à la suite du Grand Schisme d’Occident, qui éclate en 1378.
Carte, indicative mais non cumulative, des universités européennes du XIIe au XVe siècle. En effet, certaines universités, fondées au XIIIe ou au XIVe siècle avaient déjà disparu au XVe, d’autres sont apparues en deux temps, fondées puis refondées à une date ultérieure. D’autre part, des écoles existant dès le XIIIe siècle, comme celles d’Orléans, Angers ou Valladolid, n’ont été formellement reconnues comme des universités qu’au XIVe siècle. Au Portugal, il n’a jamais existé qu’une seule université, mais qui a été, à plusieurs reprises, déplacée de Lisbonne à Coimbra et retour. Design Philippe Bracco.
Les premières universités sont apparues de manière assez aléatoire, généralement sur la base d’écoles préexistantes, sous le double effet de la volonté associative des maîtres et des étudiants et du soutien apporté par la papauté à l’institution nouvelle. En revanche, à partir de la fin du XIIIe siècle, les fondations nouvelles résultent le plus souvent d’une initiative du pouvoir politique. Ce dernier peut être incarné par l’empereur ou par un roi. Plus souvent encore, il peut s’agir d’une ville, comme c’est généralement le cas en Italie, ou d’un prince territorial, tout particulièrement en France et dans les terres d’Empire.
En 1422, les 37 universités actives en Europe occidentale ne constituent encore qu’un réseau assez lâche et disparate. À l’échelle du temps, on y distingue de « grandes universités », anciennes ou récentes, les plus dynamiques en tout cas et où des maîtres réputés attirent des milliers d’étudiants, venus parfois de loin. C’est le cas de Paris, Bologne ou Oxford, mais également à Padoue, Prague, Vienne ou Heidelberg. Il existe également des centres secondaires, au rayonnement purement local, qui ne réunissent que quelques centaines, voire quelques dizaines, d’étudiants, et où d’obscurs docteurs délivrent des grades qui ne sanctionnent que des études routinières, sinon sclérosées.
Malgré l’uniformité apparente du vocabulaire institutionnel et du système des grades, ces universités différent largement entre elles. Non seulement par les effectifs et le niveau des études mais aussi par l’organisation statutaire et l’orientation intellectuelle et pédagogique. Les unes, suivant un modèle fixé dès l’origine par l’université de Paris, sont des fédérations d’écoles placées sous l’autorité des maîtres. Elles insistent surtout sur l’enseignement des arts libéraux et de la philosophie, ainsi que sur celui de la théologie. Les autres, inspirées par le système bolognais, reposent plutôt sur les associations d’étudiants et se consacrent avant tout à l’enseignement du droit, civil et canonique, et, accessoirement, de la médecine. Naturellement, l’opposition entre ces diverses catégories ne doit pas être exagérée. Bien des systèmes mixtes existent, empruntant aux unes et aux autres.
Au début du XVe siècle, la répartition géographique des universités apparaît relativement équilibrée sur la carte de l’Europe occidentale, même si certaines régions pouvaient sembler un peu délaissées. C’est le cas de celles correspondant à l’ancien royaume de Bourgogne où sera fondée l’université de Dole. En 1422, quinze des trente-sept universités actives sont situées dans ce que l’on peut considérer comme l’Europe septentrionale : trois dans le royaume de France (Midi exclu), trois dans les Îles britanniques et sept en pays germanique. Il faut ajouter, pour l’Europe centrale, celle de Prague en Bohême et celle de Cracovie en Pologne. Les vingt-deux autres se situent en Europe méridionale : dix en Italie, six dans la Péninsule ibérique, trois en Languedoc et trois en Provence. L’aire méditerranéenne peut paraître privilégiée, mais mise à part Bologne, il s’agit ici d’universités aux effectifs relativement modestes et spécialisées dans les études juridiques. Les universités « septentrionales » sont, en règle générale, plus peuplées et plus polyvalentes.
Liée à l’importance croissante des fondations princières, la géographie universitaire de cette époque se caractérise par le fait que les universités sont, de plus en plus volontiers, installées dans les capitales des royaumes ou des principautés ou, en tout cas, dans des villes dont le pouvoir souhaite renforcer le rôle culturel et politique.
Pourquoi fonder une université ?
Quelles raisons ont pu pousser les princes (et, en Italie, les villes) à encourager les fondations d’universités et même, bien souvent, à prendre eux-mêmes l’initiative de telles fondations ?
En réalité, même au haut Moyen Âge, les princes n’ont jamais été indifférents aux problèmes de l’éducation et de la culture. Dès l’apparition des premières universités, même sans en être les initiateurs, ils ont porté un vif intérêt à cette institution nouvelle, à la fois désireux de favoriser l’essor, mais également soucieux d’encadrer les populations de jeunes clercs privilégiés, source potentielle de désordres dans les villes qui les accueillent. C’est ainsi qu’on peut interpréter le grand privilège accordé, dès 1200, par le roi Philippe-Auguste aux scolares Parisienses ou les confirmations de privilèges régulièrement octroyées à Oxford et Cambridge par les rois d’Angleterre à partir de 1227. La Commune de Bologne adopta elle aussi, dès les origines, une attitude analogue vis-à-vis de l’université de sa ville. Et ces mêmes autorités poursuivirent, jusqu’à la fin du Moyen Âge et au-delà, vis-à-vis de ces universités, une politique combinant protection juridique, faveurs matérielles (notamment par les fondations de collèges) et contrôle disciplinaire. Naturellement, la papauté, à qui ces premières universités doivent généralement leurs actes de fondation et leurs statuts primitifs, autant que les maîtres et étudiants eux-mêmes, très attachés à leur autonomie ancienne, n’acceptent pas toujours sans regimber ces immixtions, de plus en plus fréquentes, des pouvoirs laïcs dans leurs affaires internes. Le processus s’avéra cependant irréversible.
Au Moyen Âge, plus encore que par ces interventions, souvent ambigües ou hésitantes, c’est cependant par la fondation d’universités nouvelles que les pouvoirs urbains et princiers manifestent, de manière directe, leur intérêt. À la fois pour l’institution universitaire, mais aussi pour tout ce qu’elle représente, culturellement, socialement et politiquement. La liste est longue, elle commence très tôt, avec les universités de Salamanque (v. 1218) et de Naples (1224). Elle englobe ensuite, surtout à partir de la fin du xiiie siècle (Lisbonne en 1290, Lérida en 1300) et plus encore du milieu du XIVe siècle (Prague en 1347), sinon la totalité, en tout cas la grande majorité des universités nouvelles.
Comme ce livre permet de le découvrir, l’université de Dole est, à beaucoup d’égards, parmi toutes ces fondations princières1, une des plus emblématiques. La documentation éclaire ici avec une particulière précision les intentions du duc et comte de Bourgogne Philippe le Bon (1419-1467), son prince fondateur, ainsi que les moyens concrets qu’il met en œuvre pour assurer la pérennité de sa création. Ce modèle dolois, est peu ou prou celui que l’on retrouve dans toutes les fondations analogues au Moyen Âge, antérieures ou postérieures à celle de Dole en 1422.
Tous les princes fondateurs d’universités auraient sans doute pu souscrire à la déclaration formulée par le Dauphin de Viennois Louis (le futur roi de France Louis XI) dans la charte de fondation de l’université de Valence en 1452 :
« Nous jugeons tout à fait opportun, nécessaire et convenable de fonder et instituer dans notre pays, sur les terres à nous soumises une université où l’on pratiquera et enseignera la théologie, le droit canonique, le droit civil, la médecine et les arts libéraux ; il n’est guère en effet de princes sur les domaines de qui n’ait été fondée une université ; or il n’y en a pas dans les nôtres ; c’est pourquoi, en véritable ami du savoir, nous voulons créer dans les terres à nous soumises une université où ceux qui en seront capables seront instruits afin qu’une fois formés, ils brillent dans notre pays “ comme les étoiles dans la splendeur du firmament “ (Daniel, 12, 3) et qu’ensuite, grâce à eux, nous puissions disposer en abondance d’hommes instruits (…) en sorte que la foi catholique soit protégée par un rempart inexpugnable d’où les guerriers pourront résister aux assauts de leurs adversaires »,
et, après un vibrant éloge de la ville de Valence, particulièrement apte à accueillir l’université prévue, le Dauphin poursuit :
« soucieux de pourvoir à l’utilité de nous-même, de la chose publique et de nos sujets, [il réitère sa décision], prise après mûre délibération de notre Conseil, de notre certaine science et plénitude de pouvoir et pour autant qu’il est en nous, de créer et instituer dans notre dite cité de Valence, pour y demeurer à jamais, une université dont les étudiants pourront étudier dans les facultés de théologie, de droit canonique, de droit civil, de médecine et des arts »2.
Les formules du Dauphin Louis sont particulièrement claires, mais on retrouve les mêmes thèmes dans la plupart des actes de fondation princière d’universités. Ne citons que les lettres patentes expédiées par Philippe le Bon, le 22 juin 1423, pour organiser la toute nouvelle fondation de Dole ; le duc de Bourgogne y déclare agir :
« pour le grant honneur, bien et prouffit de la chose publicque de tout nostre pays de Bourgoingne, et especialement et singulierement de nostredict comté de Bourgoingne, tant pour l’augmentacion du divin service et de la saincte foy chrestienne et la conservacion du bon droict d’ung chascung et pour stabiliter en prudence et science tous ceulx de nosditz pays qui bon vouloir y auront, et pour plusieurs aultres consideracions »3.
Les motifs affichés, sous l’invocation générale du « bien commun de la chose publique », sont, on le voit, de deux ordres.
D’abord, former sur place, au plus près des lieux de pouvoir, les cadres lettrés de plus en plus indispensables, avec le développement des structures administratives et le recours croissant, dans la vie politique et sociale, à l’écrit et aux références savantes, à la bonne marche de l’État en même temps qu’à la régulation de sociétés toujours plus complexes et diversifiées. Il s’agit aussi bien de secrétaires et de notaires que de juristes et d’avocats, de prédicateurs et de confesseurs que de médecins.
À cette motivation directement utilitaire s’en ajoute une autre, que l’on peut qualifier de plus culturelle et idéologique. Les universités ne sont pas seulement des lieux d’enseignement où l’on acquiert des connaissances et des diplômes, ce sont aussi – fondement véritable de leur prestige – des lieux où se conserve, se transmet, et éventuellement s’enrichit le savoir dans toutes les disciplines reconnues comme nobles et légitimes. Le Dauphin Louis et Philippe le Bon y font allusion, dans les textes cités plus haut, en parlant de la défense et illustration de la foi chrétienne étayées par les enseignements de la faculté de théologie. C’est ce qui permet aux princes d’assurer la vitalité de la vie religieuse dans leur principauté et de maintenir celle-ci à l’abri de l’hérésie. Mais il ne s’agit pas seulement de la vie religieuse. Les facultés de droit et de médecine leur permettent aussi de garantir à leurs sujets bonne justice et santé des corps, qui sont autant de marques d’un « bon gouvernement » soucieux du bien commun.
Naturellement, le dynamisme intellectuel et doctrinal variait beaucoup d’une université à l’autre et, à la fin du Moyen Âge, beaucoup de petites universités, même de fondation princière, restent, sans doute sur ce plan, à la remorque des centres majeurs et même ceux-ci ne sont pas à l’abri des risques du conformisme culturel, de l’immobilisme et de la docilité politique. Il reste que ce double souci, de la formation des élites et de l’appui idéologique, semble bien présent, à l’origine de toutes les fondations universitaires médiévales imputables au pouvoir municipal ou princier.
Les institutions, le recrutement, les finances
Une autre caractéristique de ces fondations est qu’on y retrouve pratiquement toujours, dès l’origine et plus ou moins développée, une certaine attention aux modalités concrètes de l’organisation universitaire et de la vie des maîtres et des étudiants, alors que dans les universités les plus anciennes, celles nées « spontanément » au XIIIe siècle, ces cadres ne se sont mis en place que progressivement et empiriquement.
Le plus simple est de se référer à un modèle préexistant. Nombreux sont en effet les actes de fondation qui indiquent que la nouvelle institution sera établie « à l’instar » de Paris, Bologne, Orléans ou Toulouse, par exemple. Mais même en ce cas, on constate cependant que les statuts de la nouvelle université ne sont en réalité pas la pure et simple reproduction du modèle antérieur. Chaque université se réserve en effet une part d’adaptation et d’innovation. De manière générale d’ailleurs, on note que les princes fondateurs n’entrent pas dans tous les détails de l’organisation universitaire. Ils se contentent de régler certains éléments relatifs notamment à l’économie des pouvoirs entre le chancelier, le recteur, les conseils et assemblées de maîtres ou d’étudiants. Ils laissaient le reste, spécialement ce qui concerne les enseignements et les examens proprement dits, à l’initiative des intéressés eux-mêmes.
Un autre point qui retient généralement l’attention des fondateurs est la question du recrutement. Que ce soit celui des premiers maîtres – où aller chercher ceux-ci ? – ou celui des étudiants. Les plus anciennes universités affichent l’ambition universaliste d’attirer des étudiants de toute la Chrétienté et la papauté leur avait accordé le privilège de pouvoir conférer des grades de validité également universelle (ius ubique docendi). Théoriquement, les nouvelles universités jouissent, elles-aussi, de ce privilège. Dans les faits, elles visaient surtout à recruter dans les limites du territoire relevant du prince ou de la cité qui les a fondées. Il arrive même – on le voit à Naples dès 1224 – que le fondateur, vantant la commodité que ses sujets auront désormais à pouvoir étudier près de chez eux, cherche, avec plus ou moins de succès, à leur interdire d’aller étudier ailleurs que dans le studium generale qu’il vient de fonder.
Enfin, les fondations d’universités par les pouvoirs politiques laïcs ont amené à poser la question du financement des universités. Hormis les collèges, et sauf exception, dès leur fondation, il n’est pas encore question, de doter les universités, de bâtiments propres ou de bibliothèques. Les universités médiévales ont toujours vécu avec peu de moyens, et ni l’Église, ni les princes, ni les villes n’entendent y investir des sommes importantes.
Le principal problème reste celui de la rémunération des professeurs. Ces derniers, s’ils sont clercs, vivent, d’une part, des revenus des bénéfices ecclésiastiques qu’ils peuvent détenir avec dispense de résidence et, d’autre part, des droits d’écolage (collectæ) et d’examen payés par les étudiants. Ces droits sont même les seules ressources « professionnelles » dont disposent les professeurs laïcs de droit et de médecine des universités italiennes. Ces deux grands types de revenus se maintiennent partout jusqu’à la fin du Moyen Âge. Mais, pour compléter ces ressources quelque peu aléatoires et attirer des enseignants de qualité, l’idée est assez vite apparue de créer, des salaires fixes pour les professeurs. Le procédé est attesté, dès les années 1280, qui voient la Commune de Bologne rémunérer ainsi certains docteurs en droit (cf.p.xx). On le retrouve dans d’autres universités italiennes et ibériques. Au nord des Alpes et des Pyrénées, la pratique semble beaucoup plus tardive et, là encore, Dole se distingue. Dès la fondation, Philippe le Bon s’est attaché ici à assigner au studium generale qu’il venait de créer des revenus substantiels et précisément définis. Les uns sont prélevés sur certaines recettes du domaine comtal, notamment de la saunerie de Salins, les autres sont fournis par la ville de Dole, mise à contribution en échange des bénéfices qu’elle était supposée tirer de la présence de l’université. Philippe le Bon désigne en même temps des officiers ou « distributeurs » chargés de contrôler l’usage de ces ressources et, de manière générale, le bon fonctionnement de l’université. De tels officiers, qui évoquent les reformatores studii des villes italiennes, représentent, hors d’Italie, une nouveauté institutionnelle remarquable.
Les fondations dans leur contexte
Les universités, de fondation municipale ou princière, présentent un certain nombre de traits originaux qui les distinguent nettement des universités, antérieures ou contemporaines, nées sans intervention directe du pouvoir politique. Entre ces deux types d’universités, il n’existe cependant pas une opposition radicale. De même, il ne suffit pas à une ville ou un prince de décider de fonder une université pour qu’un tel projet se réalise effectivement. L’histoire des universités médiévales, assez riche en fondations avortées et en échecs rapides, prouve le contraire.
La naissance et les débuts de l’université de Dole illustrent, de manière particulièrement éclairante et documentée la complexité du problème des fondations d’universités par les pouvoirs politiques à la fin du Moyen Âge. Depuis le XIIIe siècle, les mêmes ingrédients se retrouvent pratiquement dans toutes les fondations de ce type. Il faut, à la fois, triompher de certaines résistances, mais aussi bénéficier de circonstances favorables et encore mobiliser des concours indispensables.
La décision de fonder une université nouvelle est rarement prise par le prince seul. Il est nécessaire que dans son entourage, de manière permanente ou circonstancielle, des conseillers, souvent eux-mêmes gradués, soient capables de lui représenter l’intérêt d’une telle fondation et d’en élaborer les modalités concrètes.
Il faut ensuite, à peu près nécessairement, l’appui de l’Église. Ce qui signifie, en premier lieu, d’obtenir, du pape, la bulle de fondation, ou, au moins de confirmation. Démarche indispensable pour garantir le statut de studium generale de la nouvelle fondation et les privilèges afférents à ses futurs maîtres et étudiants. Dans l’ensemble, les papes de la fin du Moyen Âge accueillirent favorablement ce genre de demandes, mais ils pouvaient poser certaines conditions. À Dole, le pape Martin V agrée la supplique de Philippe le Bon, demandant la création d’une université mais il lui refuse la faculté de théologie, initialement prévue par le duc de Bourgogne. La nouvelle université doit pouvoir compter sur l’accueil favorable des églises locales (cathédrale, collégiales, monastères et couvents urbains), susceptibles de lui fournir à la fois un encadrement pastoral (messes et sermons de l’université), des locaux, des maîtres, au moins en théologie et en droit canonique, et des étudiants. Sans parler du chancelier, indispensable pour la collation des grades, qui est presque toujours un ecclésiastique local, l’évêque – l’archevêque de Besançon à Dole – ou un représentant du chapitre cathédral.
La présence, ou l’arrivée rapide dans la ville choisie, d’un groupe suffisant de docteurs capables de constituer pour cette nouvelle université un corps enseignant immédiatement disponible et de qualité suffisante pour attirer des étudiants est une autre condition, préalable au bon démarrage d’une nouvelle université. De plus, si la nouvelle université n’était pas apparue, les maîtres et ces étudiants auraient, nécessairement, été ailleurs. Cela signifie que toute fondation nouvelle risque de se heurter à l’opposition des universités déjà existantes, forcément inquiètes de cette concurrence, inopportune et inattendue. Nombre d’universités existantes tentent des recours pour faire annuler la création d’un nouveau studium generale. En 1432, on voit ainsi l’université de Paris s’opposer à la création de l’université de Caen, en Normandie, par le roi d’Angleterre Henri VI (à une époque où Paris reconnait pourtant Henri VI comme roi de France) et, ultérieurement, en 1464, à celle de Bourges, par Louis XI. Si la fondation de Dole échappe à ce genre de protestations, c’est sans doute parce que Philippe le Bon prend la précaution de créer cette université en Comté, donc en terre d’Empire, et non à Dijon, dans le duché de Bourgogne, c’est-à-dire dans le royaume de France.
Enfin, et plus largement, il est nécessaire que la nouvelle université réponde, non seulement à un projet politique, mais à une attente sociale, celle de la population de la principauté et, en particulier, de la ville même où cette nouvelle fondation est projetée. L’espoir de pouvoir envoyer leurs rejetons « aux études » dans une université proche et à moindres frais et de les voir ensuite faire carrière au service de leur prince, est évidemment un argument fort pour faire accepter cette fondation par la population. Il l’est également, pour la ville choisie, de pouvoir en tirer bénéfice en termes de prestige culturel mais aussi de retombées économiques. Cette bonne volonté des élites locales pour accueillir la nouvelle université et même contribuer à son financement, se vérifie fréquemment. On le voit bien à Dole, mais aussi dans les fondations à peine postérieures des universités de Poitiers (1431) ou Bourges (1464). À l’inverse, une éventuelle hostilité peut bloquer ou freiner durablement le projet princier. Ainsi à Barcelone, les familles marchandes, qui dominent la société urbaine, s’opposent longtemps à l’installation d’une université dont elles craignent qu’elle ne soit à la fois un foyer de désordre et le creuset de formation d‘une nouvelle élite de juristes et d’officiers, susceptible de leur porter ombrage. Finalement créée qu’en 1450, l’université de Barcelone, reste toujours très médiocre par rapport à celle de Lerida, plus ancienne et moins dangereuse pour la classe dirigeante barcelonaise. À Louvain, en revanche, l’université voulue par le duc de Brabant peut s’installer dès 1425, précisément parce que l’on peut espérer que cette fondation prendra le relais de la draperie traditionnelle défaillante et permettra de maintenir l’activité économique de la ville et son dynamisme social.
Au Moyen Âge, quels qu’aient été leurs effectifs et leur rayonnement, les universités de fondation princière, comme les autres universités, demeurent des institutions complexes, impliquant des enjeux multiples et requérant la collaboration de groupes sociaux divers. L’esquisse de cette problématique d’ensemble, propose un cadre aux chapitres qui suivent et, aide à saisir, en quoi la fondation et l’évolution ultérieure de l’université de Dole puis de Besançon, participent d’une histoire à la fois singulière et commune à toute l’Europe du savoir.