Le 1er janvier 1883, une série de décrets créent ou transforment quinze chaires professorales dans huit facultés de province et à la faculté des lettres de Paris[1]. Il s’agit essentiellement de dédoubler d’anciennes chaires en reconfigurant leur périmètre d’origine[2]. C’est le cas à la faculté des lettres de Besançon, où la chaire d’histoire, qui datait de la refondation napoléonienne de 1808, est transformée en chaire d’histoire et de géographie des temps modernes, tandis qu’on en crée une nouvelle pour enseigner l’histoire et la géographie de l’Antiquité et du Moyen Âge. Ce mouvement participe en fait d’une politique plus large de la Troisième République, qui s’efforce d’adapter le vieux système universitaire napoléonien à la spécialisation croissante des disciplines académiques.
Portrait d’Édouard Sayous (1842-1898) par le photographe Louis Pierson (1822-1913). Bibliothèque nationale de France, département Société de Géographie, SG PORTRAIT-1830.
En 1883, la chaire d’histoire de la faculté des lettres de Besançon était occupée, depuis 1874, par le moderniste Léonce Pingaud (1841-1923). Le décret du 1er janvier nomme sur la seconde chaire le médiéviste Charles Molinier (1843-1911), alors maître de conférences à la faculté des lettres de Toulouse. Ce normalien, agrégé et spécialiste du Midi, retourne à Toulouse, dès 1886, pour enseigner l’histoire de la France méridionale. Son passage en Franche-Comté n’aura été qu’une parenthèse dans sa carrière toulousaine. Il semble même qu’il ait tardé à prendre pleinement possession de son poste, puisque la chaire d’histoire et de géographie de l’Antiquité et du Moyen Âge voit se succéder deux suppléants médiévistes entre 1883 et 1885 : Christian Pfister (1857-1933), maître de conférences à Besançon depuis 1882, et Pierre Imbart de La Tour (1860-1925), de 1884 à 1885. Cette seconde chaire d’histoire ne prend donc vraiment son essor qu’après le départ de Molinier. En effet, ses deux successeurs impriment leur marque aux études médiévales bisontines jusqu’à la Première Guerre mondiale.
Portrait de Jean Guiraud (1866-1953). https://commons.wikimedia.org/wiki/user:Jean_GUIRAUD
Édouard Sayous (1842-1898), professeur à Besançon de 1886 à sa mort, est un esprit éclectique : né à Genève, normalien et agrégé, il obtient un doctorat ès lettres et un autre en théologie, de sorte qu’il fut pasteur et professeur de théologie protestante avant de rejoindre les bords du Doubs. Passionné par la Hongrie, dont il apprend la langue, il publie sur ce pays plusieurs études qui débordent largement la période médiévale. Son successeur, Jean Guiraud (1866-1953), professeur à Besançon de 1898 à 1919, est lui aussi normalien et agrégé. Son séjour à l’École française de Rome lui permet en outre de dépouiller les archives vaticanes, qui venaient juste d’être ouvertes par le pape Léon XIII. Guiraud devient ainsi un historien reconnu de l’Église médiévale. Mais, catholique militant pendant les débats sur la loi de séparation des Églises et de l’État, il finit par quitter l’université pour diriger le journal La Croix.
La démission de Guiraud sonne le glas du monopole des médiévistes sur cette seconde chaire d’histoire : celle-ci est ensuite confiée à l’helléniste Paul Cloché (1881-1961), d’abord chargé de cours (1919), puis professeur adjoint (1921) et enfin professeur titulaire, de 1922 à 1948, avant de finir sa carrière comme doyen de la faculté des lettres. Cette école d’hellénistes bisontins perdure après la guerre avec la figure emblématique de Pierre Lévêque (1921-2004), titulaire de la chaire à partir de 1959 et doyen de la faculté des lettres pendant les événements de Mai 68.
Pierre Lévêque en mission sur le site archéologique du temple de Ségeste en Sicile. Collection particulière.