François-Paul de Lisola (1613-1674) : le Comtois ennemi de la France

Damienne Bonnamy

Les guerres de Louis XIV (1638-1715) commencent véritablement en 1667 par une guerre de Dévolution où, en vertu des droits de la reine Marie-Thérèse (1638-1683), fille de Philippe IV d’Espagne (1605-1665), Louis réclame une portion significative des Pays-Bas espagnols. La Couronne de France mobilise alors ses meilleurs légistes pour justifier le bon droit du roi. La plume aussi est une arme et, dans cette bataille idéologico-politique qui résonne dans toute l’Europe, le pire ennemi de la France se nomme François-Paul, baron de Lisola, Comtois né à Salins le 22 août 1613.

Portrait de François-Paul de Lisola (1613-1674), gravure de Johann Jakob Schollenberger, 1670. Alamy.

Génoise, la famille s’est établie à Besançon en 1592 avant de gagner Salins où le père, Jérôme, a affermé l’exploitation du sel. François-Paul, l’aîné, étudie le droit à Dole, « ville célèbre pour son université et son parlement » et pour sa non moins « célèbre faculté de droit »1. Docteur à 20 ans, il appartient à cette génération dite « de Richelieu » (1585-1642), formée à la raison d’État. Mais, en 1636, le fracas des armes d’Henri II de Bourbon-Condé (1588-1646) assiège Dole. La ville de Lons-le-Saunier brûle jusqu’à la dernière pierre.

Mai 1638 : Besançon, après Salins, est menacée. En deux ans, la Franche-Comté a basculé dans la guerre et la France devient pour Lisola, jusqu’à son dernier souffle, le 22 décembre 1674, le monstre à terrasser : « Mais un amour de mon endroit sera mon Ariane qui m’aidera à sortir de ces chemins intrigués après qu’avec ma plume qui est la seule arme dont je veux me servir j’aurai éventré ce monstre et répandu tout son venin : je veux être le Thésée qui nous délivrera de ces monstres »2. Cet endroit aimé, c’est la Comté, mais aussi Besançon, « lieu agréable en son bon air », où il réside de 1634 à 1639.

Page de titre de l’ouvrage, Discours funèbre sur la mort d’Isabelle-Clere[sic]-Eugénie infante d’Espagne Fait par le Sieur François de Lisola advocat & récité devant Messieurs les Gouverneurs de la Cité impériale de Besançon en l’église des RR. Pères Cordeliers le 4 de janvier 1634, Besançon, Denys Couché, 1634. Bibliothèque municipale de Besançon, 217641.

Ville libre impériale, liée par un « traité de gardienneté » au roi d’Espagne, Besançon est administrée par un conseil élu. En 1638, une révolte éclate contre un impôt exceptionnel destiné à réparer les fortifications. Lisola prend la tête du mouvement, en appelle à la justice de l’Empereur au nom du peuple. Le voilà lancé. Il quitte la ville et se met au service des intérêts des Habsbourg d’Autriche et d’Espagne.

Aidé par ses qualités de juriste et par son don pour les langues – il écrit en latin, allemand, italien, espagnol, français –, mais aussi par ses exceptionnels talents d’éloquence, il mène une brillante carrière de diplomate et, fait unique, de pamphlétaire. Après Richelieu, c’est maintenant Louis XIV qui est « le monstre » à dénoncer, ce qu’il fait dans le Bouclier d’État et de Justice3, son mémoire le plus célèbre, véritable best-seller européen.

Après un engagement sans faille auprès des Habsbourg, Ferdinand III (1608-1657) et Léopold Ier (1640-1705), empereurs élus du Saint-Empire romain germanique, il meurt au moment où la Comté est soumise. Mais sa mémoire ne sera oubliée, ni des Lumières, ni de Winston Churchill (1874-1965), dont l’ancêtre John, duc de Marlborough (1650-1722), correspondait avec le Comtois. Travaillant entre 1933 et 1938 à une biographie de son aïeul, il dénonce le danger d’une Allemagne réarmée en évoquant Lisola combattant contre la puissance française : « Parmi les cinq ou six hommes à l’origine de la Triple-Alliance (1668), Lisola, un diplomate autrichien animé d’une haine viscérale de la France qu’il devait au sac de sa Bourgogne natale. Il semble qu’il ait été le premier à avoir consacré toute sa vie à ce dessein qui consistait à briser l’excès de puissance de la France »4.

Notes :
  1. Charles-édouard Levillain, Le Procès de Louis XIV. Une guerre psychologique, Paris, Tallandier, 2015. On doit au professeur Levillain d’avoir remis en lumière F.-P. de Lisola, auteur largement oublié alors qu’il a été le pamphlétaire le plus connu d’Europe, accusant Louis XIV de tyrannie. Nous empruntons à cette étude les mentions relatives à l’université de Dole (p. 53) et à la faculté de droit (p. 25).
  2. Biblioteca Nacional de España, Ms 12180, « Papeles referentes al Condado y al Ducado de Borgoña », fol. 111,  cité par Levillain, Le Procès de Louis XIV…, op. cit., p. 56.
  3. François-Paul de Lisola, Bouclier d’Estat et de Justice contre le dessein manifestement découvert de la Monarchie Universelle, sous le vain prétexte des prétentions de la reyne de France, Bruxelles, 1667  [en ligne, Archives.org].
  4. Levillain, Le Procès de Louis XIV…, op. cit., p. 23.
Bibliographie
  • François-Paul de Lisola, Bouclier d’Estat et de Justice contre le dessein manifestement découvert de la Monarchie Universelle, sous le vain prétexte des prétentions de la reyne de France, Bruxelles, 1667 [en ligne, Archives.org].
  • Charles-Edouard Levillain, Le Procès de Louis XIV. Une guerre psychologique, Paris, Tallandier, 2015.
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