Jean-Baptiste Boisot se rattache à une famille de notables bisontins d’origine bourguignonne qui tire son aisance du commerce et de la banque. Il naît à Besançon le 8 mai 1639. Après y avoir fait ses humanités, le jeune homme poursuit, dans les années 16501, ses études à l’université de Dole, où il reçoit ses grades en droit civil et canon. Plus tard, en 1686, il saura mettre à profit les leçons de ses maîtres en assurant sa propre défense au cours d’un procès2.
Esprit vif et curieux, Boisot enrichit dans sa jeunesse cette formation par des voyages. Depuis trois siècles, les auteurs de dictionnaires et ses biographes se fient aux jalons de sa vie fournis par deux éloges publiés à sa mort : après ses études à Dole, le Bisontin aurait séjourné deux ans à Paris pour y apprendre le grec, puis serait demeuré trois ans en Italie ; à Rome, il aurait été présenté à la reine Christine de Suède, qui aurait voulu l’attacher à son service. Il aurait voyagé en Flandre, en Espagne et en Allemagne. Mais seuls son séjour dans la ville éternelle, au début des années 1660, ainsi que sa fréquentation de la bibliothèque de l’Escurial, près de Madrid, à une date qui reste à préciser, sont cautionnés par des sources plus directes3.
En 1657, Boisot est prieur de La Vieille-Loye, près de Dole, et bénéficie dès les années 1660 du priorat de Grandecourt, en Franche-Comté. À partir de 1671, ses qualités de négociateur lui valent de prendre rang dans plusieurs délégations auprès des autorités espagnoles et des États de Franche-Comté4.
Dès la conquête de cette province en 1674, Louis XIV et Louvois récompensent de leur soutien à la France les frères de l’ecclésiastique, qui font carrière au parlement de Besançon5. Le ralliement de Jean-Baptiste aux nouveaux maîtres de la Comté est en revanche équivoque. Mais l’intercession de son protecteur Paul Pellisson-Fontanier auprès de Louis XIV lui vaut en 1681 le titre d’abbé commendataire de Saint-Vincent de Besançon, prestigieuse abbaye bénédictine réformée6 ; ses habiles et patientes démarches pour faire connaître son érudition aux savants de la cour et à la République des Lettres ont sans doute également favorisé la concession du bénéfice7.
Boisot, qui se qualifie plaisamment de « bijoutier » et de « grand babioliste », a en effet reçu ou acheté une partie des archives, des livres et de la collection des Granvelle de leur héritier, le comte de Saint-Amour, ainsi que du baron de Thoraise et du légataire de l’érudit Jules Chifflet, mort en 16768. Au milieu des années 1680, le docte bisontin s’attelle au classement de ces archives et au décodage de lettres diplomatiques chiffrées9. En dehors de cette tâche qu’il achève en 1690, il constitue un riche médaillier10 et recueille des vestiges épigraphiques et archéologiques du Vesontio gallo-romain.
À présent réparties entre la bibliothèque municipale et les musées bisontins, ces richesses sont conservées de son vivant sur deux niveaux, dans le logis abbatial contigu au monastère11. À l’étage inférieur, une haute armoire de noyer, ferrée et fermée à clé, abrite les papiers des Granvelle. Les livres les plus précieux sont placés dans un cabinet attenant. À l’étage supérieur, la bibliothèque comporte plus de 1 500 volumes imprimés et 155 manuscrits. Les fenêtres ouvrent sur les jardins de l’abbaye. Aux murs, onze tableaux, parmi lesquels se distinguent les portraits de Nicolas Perrenot de Granvelle, qu’on attribue au Titien (1488-1576), de son fils le cardinal Antoine de Granvelle, de l’ambassadeur Simon Renard et de son épouse Jeanne Lullier, les deux derniers étant attribués au peintre néerlandais Anthonis Mor (1520-1578)12. Ces trésors sont mis à la disposition des érudits de passage, dont le fameux Mabillon (1632-1707), l’un des fondateurs de la science historique française.
En 1691, dans le contexte du transfert de l’université de Dole à Besançon, Jean-Baptiste Boisot envisage de léguer sa bibliothèque à cette institution13. Le projet n’aboutit pas, et c’est aux religieux de son abbaye qu’il confie celle-ci ainsi que sa collection, une semaine avant son trépas, par son testament daté du 27 novembre 1694, sous condition d’en permettre l’accès au public. Ainsi, de 1696 à 1791, rayonne l’une des plus anciennes bibliothèques publiques de France. Aux XIXe et XXe siècles, les archives des Granvelle se révèlent d’une importance majeure pour les historiens de la jeune nation belge. Lucien Febvre (1878-1956), cofondateur du courant historique des Annales, y puise maints matériaux pour sa thèse consacrée à Philippe II et la Franche-Comté, publiée en 1911.